Le goût du théâtre et le souci des autres
A la tête du Centre dramatique de Haute-Normandie depuis janvier 2008, Elizabeth Macocco se définit elle-même comme « une actrice qui a choisi un parcours de femme de théâtre ». Avec autant d’exigence que de générosité, elle veut faire du CDR une véritable « maison de théâtre ».
Avec quel projet vous installez-vous à Rouen ?
Elizabeth Macocco : Le projet que j’ai défendu s’appelle « le goût du théâtre et le souci des autres » et découle d’une réflexion sur l’habitation de cette maison théâtre avec le souci d’une production dans la durée contre un consumérisme ponctuel. Le principe fondateur de ce projet est l’ouverture : à un public jeune, à un mélange de générations, à des propositions artistiques qui renouvellent et enrichissent le répertoire. C’est un projet fondé sur le goût du verbe et donc sur le répertoire. La mission d’un CDR est une mission de référencement, ce pourquoi nous proposons une cosmogonie la plus ouverte possible, avec de grands auteurs, de grands metteurs en scène et un projet emblématique autour d’Edward Bond.
Vous avez aussi souci de la formation dans votre projet.
E. M. : Nous voulons avant tout partager les forces à l’œuvre dans cette maison. Pour cela, le CDR a initié un
groupement d’employeurs, notamment avec le Centre de création Le Passage de Fécamp. Six jeunes acteurs et actrices vont entrer dans ce compagnonnage qui est le lieu de focalisation de plusieurs nécessités : la formation, la continuité du travail dans la durée et la volonté de partager cette démarche avec le public.
« Le principe fondateur de ce projet est l’ouverture. »
Formation et partage : l’invitation faite à Edward Bond va-t-elle dans ce sens ?
E. M. : Avec Bond, on est pile au carrefour d’un faisceau de choses qui se complètent. A travers le projet autour du Numéro d’équilibre, on s’intéresse de près à l’écriture d’aujourd’hui en direction du « continent jeune » comme dirait Bond et on s’intéresse autant à la transmission vers les jeunes comédiens qu’à celle en direction du jeune public. De plus, ce projet se déploie dans la durée, ce qui est essentiel pour un lieu de fabrication. Il y a un devoir d’avenir vis-à-vis des jeunes générations. Le Théâtre des Deux Rives a créé depuis longtemps un fort et fidèle amour du théâtre mais il faut encore l’élargir. Le théâtre permet de comprendre qu’on peut mettre des mots sur ce qu’on vit et il est fondamental que cette richesse essentielle soit proposée à un public jeune.
Pourquoi ce souci revendiqué des jeunes générations ?
E. M. : Aujourd’hui où on a accès à beaucoup de choses dès le plus jeune âge, le côtoiement avec l’art et le théâtre doit devenir naturel. Le théâtre est le lieu de la langue, des mots. Si on n’a pas les mots pour dire le monde, on est mort au monde. Le théâtre ne permet peut-être pas de comprendre le monde mais il permet de s’interroger à son propos, à propos de soi, à propos des autres. Le Théâtre des Deux Rives a une histoire longue et riche mais il faut qu’il suive et amplifie son destin en s’affirmant comme un lieu habité par plusieurs artistes qui produit, s’intéresse à la possibilité de l’écriture, soit force de proposition, propose des formes ou des formats différents. Notre projet à entrées multiples cherche à créer du lien entre les propositions et du lien entre les artistes. La programmation n’est pas seulement la juxtaposition de choses qu’on aime mais la réunion de choses qui nous semblent importantes. Il n’est pas question de séparer création et diffusion : l’ensemble doit former une architecture.
Propos recueillis par Catherine Robert