Edward Bond
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Publié le 10 octobre 2008
Pour un nouvel art dramatique
Sa présence à Rouen sera l’un des temps forts de la saison du Centre dramatique de Haute-Normandie – Théâtre des deux rives. En marge de la mise en scène du Numéro d’équilibre, Edward Bond participera à deux rencontres dans le cadre de Travaux Publics II (20 et 21 mars 2009).
On vous considère souvent comme l’auteur d’une œuvre sombre. Que vous inspire cette réputation ?
Edward Bond : Il est vrai que certaines de mes pièces — tout comme une large part du répertoire classique — traitent de la violence. Mais quand ces pièces sont bien mises en scène, elles n’exploitent aucunement cette violence. Au contraire, elles affirment notre capacité à résoudre les problèmes, dont après tout nous sommes largement responsables. Mes pièces sont des péans qui célèbrent le pouvoir de l’humain. Mais elles ne peuvent le faire à moins de décrire la réalité des problèmes. C’est alors seulement qu’elles rendront son urgence au besoin de trouver des solutions et de comprendre. Les gens parviennent généralement à ignorer ces problèmes dans leur vie quotidienne. Au théâtre, ils ne devraient pas être en mesure de le faire. Là, la véritable récompense des spectateurs est de voir reconnues leurs responsabilités et leurs capacités. Dans nos temps troublés, bien des choses deviennent dangereuses. La plus dangereuse de toutes est peut-être la trivialité, dont j’accuse une grande partie du théâtre contemporain. Soit il n’est que pur divertissement — pure hypocrisie, en fait — soit prétentieusement « esthétisant » ou « mystique », ce qui berne le public. Les outils et les philosophies actuels du théâtre ne fonctionnent plus. Il nous faut créer de nouveaux modes d’écriture, de jeu d’acteur, de mise en scène. Les théories de Stanislavski et Brecht ne correspondent plus à notre époque. Elles déforment l’œuvre qu’elles font mine de servir. Nous avons besoin d’un nouvel art dramatique qui serait à la fois post-épique et pré-épique, à la fois social et intime, à la fois héroïque et antihéroïque, à la fois juste et criminel — je dis criminel parce que la justice n’est devenue qu’une simple expression de la vengeance, qui est le contraire de la justice.
« Seul l’art dramatique est capable de créer notre humanité. »
Pourquoi pensez-vous qu’il est nécessaire de vous investir dans le théâtre pour le jeune public ?
Ed. B. :Ni la science ni la religion — qui est une forme de théâtre — ne peuvent créer notre humanité. Seul l’art dramatique en est capable. Dans notre ère technologique, cette remarque peut paraître extravagante mais elle est juste. La science pourrait très facilement nous déshumaniser et l’art dramatique est de plus en plus dépendant du capitalisme des médias. Or, nous ne sommes pas nés pour faire du profit mais pour créer la justice. Les jeunes gens sont encore proches de leur gravité existentielle — et ils en ont certainement besoin si leur vie future ne veut pas être plongée dans le chaos. Ils savent encore que tout ne peut pas s’acheter et se vendre. A Rouen, nous essaierons de créer ce nouveau théâtre. Nous n’y parviendrons qu’en partie, mais nous aurons commencé.
Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat (traduction Jérôme Hankins)