Le goût des contrastes
Le chanteur Benoît Haller est le chef [...]
Focus -202-Les Gémeaux, scène nationale de Sceaux
Un compagnonnage sur la durée avec Abou Lagraa : cette nouvelle création est le fruit d’une résidence de production qui permet au chorégraphe de rêver un projet ambitieux sur le fond comme dans la forme.
Que recouvre cette notion de « racines » à l’œuvre dans cette création ?
Abou Lagraa : Tout d’abord c’est une création commune entre mes deux compagnies :La Baraka qui est basée àLyon, et le Ballet Contemporain d’Alger que je codirige avec Nawal Ait Benalla-Lagraa. Les danseurs français ont des origines très différentes : ils viennent d’Inde, de Suède, du Cameroun, des Iles Comores, de France, du Maroc… Avec eux et avec les danseurs algériens, il y a sur scène la chanteuse Houria Aïchi. Lorsque je suis parti en Algérie pour retrouver lesracines de mes parents – car je suis né enFrance – j’ai été bouleversé. A tel point que la question de la religion m’est revenue comme une évidence. Je ne suis pas musulman, mais je suis de culture musulmane car mes parents me l’ont transmise, en même temps qu’ils m’ont envoyé au catéchisme le mercredi. Dans le monde actuel et surtout enFrance, j’ai entendu beaucoup de choses insensées car on fait une sorte d’amalgame entre ce qu’est la religion musulmane et ce qu’est la culture musulmane. Dans cette création, j’ai envie de parler de ma perception de la culture musulmane, du corps, en ayant autour de moi des interprètes multiples.
Parler du corps dans la culture musulmane, mais sous quels aspects ? Le public a ses propres représentations trop souvent liées aux tabous de la religion, comment allez-vous traiter cela ?
A. L. : Justement, c’est là que ça devient intéressant : il y a un rapport au corps qui me plaît et qu’on ne perçoit pas forcément, qui est charnel et sensuel, comme par exemple au hammam. Il y a aussi un rapport au cercle, à la réunion qui est très fort, malgré une idée reçue ici qui nous fait croire que l’on sépare systématiquement l’homme et la femme, et qu’ils n’ont pas de rapport. Dans ma culture, la danse est quelque chose de très fort, et les hommes et les femmes dansent ensemble.
Sur la notion de racines, quelles seraient les vôtres, du point de vue chorégraphique ?
A. L. : Mes racines, à mes tout débuts, c’était Bouvier / Obadia. Puis ça a été Forsythe, Kylian. C’est-à-dire des artistes contemporains qui inventent, qui s’engouffrent dans la passion et dans l’émotion, mais aussi dans le classicisme, et qui l’ont détourné. Ce sont mes pères. Ils m’ont donné envie de garder le côté virtuose, la notion de corps travaillé, d’états de danse. Je suis un contemporain classique, quelque part ! Et j’aime qu’un public soit admiratif de mes danseurs. Quatorze danseurs dans un monde en crise : ce risque aussi m’intéresse. Dans ces moments, les gens ont aussi besoin de voir des spectacles. Quand les situations sociales sont difficiles, il faut pouvoir répondre par “c’est possible“…
Propos recueillis par Nathalie Yokel
Le chanteur Benoît Haller est le chef [...]