Directeur et artiste, deux métiers complémentaires, rencontre avec Sylvain Maurice

Comment avez-vous appréhendé la direction du théâtre de Sartrouville ? 

Sylvain Maurice : J’ai vécu depuis 2013 une aventure magnifique. Ma priorité fut d’abord de renforcer le rayonnement du festival dédié à l’enfance et la jeunesse Odyssées en Yvelines. En dix ans nous avons produit ou coproduit trente créations originales dans le cadre d’Odyssées. Nous avons déplacé le projet initial, qui était centré sur des commandes d’écriture, vers un travail plus ouvert à toutes les disciplines, et plus en relation avec les compagnies, en imbriquant étroitement le travail sur la mise en scène et celui sur l’écriture. Mais avec quelque 45 spectacles pluridisciplinaires le CDN n’a pas vocation à être une scène spécialisée jeune public. Nous avons accompagné et coproduit de nombreuses compagnies au fil du temps. La période fut très heureuse aussi pour mes créations, dont Réparer les vivants d’après Maylis de Kerangal et Un jour je reviendrai de Jean-Luc Lagarce, nés d’un compagnonnage avec Vincent Dissez. L’enjeu important à venir, c’est la rénovation de la grande salle.

« Pour ce que j’en observe, les gens ont envie de plus d’horizontalité. »

N’est-ce pas difficile d’être artiste et directeur d’un lieu ? Comment s’articulent pour vous ces deux activités ?

S.M. : Louis Jouvet, qui dirigea l’Athénée pendant plus de quinze ans, est l’épatante démonstration qu’il est possible de faire les deux ! On pourrait citer d’autres noms illustres. Quant à moi, j’aime autant les deux métiers, car il s’agit bien de deux métiers totalement différents et complémentaires, dont chacun exige une totale attention. La porosité entre les deux métiers est réelle, mais il ne faut pas que l’une des deux activités vampirise l’autre, sinon on est fichu ! Mon premier métier, c’et la mise en scène. Être directeur d’un théâtre, ce n’est qu’un moment dans la vie d’un artiste, lors duquel comme c’est le cas pour moi à Sartrouville il est important d’être très bien entouré. Durant ces dix années, j’ai été constamment en dialogue avec les artistes à imaginer des nouvelles productions. Quand je discute avec des metteurs et metteuses en scène, notamment les plus jeunes, j’ai l’impression d’être au cœur de mon métier ; ils me remettent en cause, me font penser à des choses auxquelles je n’avais pas réfléchi. C’est particulièrement stimulant… Et cela contrecarre la un sentiment diffus de solitude.

Comment voyez-vous votre relation au public ? Pensez-vous que les attentes du public vis-à-vis du théâtre ont changé ?

S.M. : J’ai toujours été très proche du public, qui ici est local. Nous sommes implantés loin du centre-ville et du RER, en bordure du vaste département des Yvelines, entre les Hauts-de-Seine et le Val-d’Oise. Nous sommes donc doublement excentrés. C’est pourquoi nous avons toujours conjugué un travail de proximité et le développement d’une offre démultipliée, dont de grandes formes fédératrices, afin de rassembler et rayonner le plus possible. Il est important a fortiori dans cette période politique délicate d’être au contact de la société réelle, pétrie de contradictions. Pour ce que j’en observe, les gens ont envie de plus d’horizontalité. Je constate aussi, mais cela n’est pas nouveau, que la classe moyenne n’est plus aussi engagée qu’avant dans les problématiques culturelles. En tant que fait social, le théâtre était l’endroit de l’utopie, l’endroit du politique, où nous allions rêver des jours meilleurs et mener des combats. Ce n’est plus ça. L’offre culturelle a changé, le monde a changé, et logiquement nous aussi sommes amenés à changer.

Propos recueillis par Agnès Santi