Des récits, des voyages, des rêves…Rencontre avec Lucie Berelowitsch

Quel projet artistique défendez-vous à la tête du Préau ?

Lucie Berelowitsch : Je suis d’origine russe. J’ai fait mes études au Conservatoire de Moscou, en théâtre musical. J’ai ensuite travaillé durant plusieurs années entre la France et l’étranger, ce qui m’a permis de me nourrir de diverses influences, de construire un parcours entre ouverture à l’international et implantation locale. Le projet que je porte pour Le Préau déploie un grand intérêt pour les autres cultures et les langues étrangères. Il vise à favoriser le brassage artistique dans un territoire non transfrontalier, le territoire du Bocage virois. C’est une chose qui me semblait primordiale dans un lieu comme Le Préau. Car les langues que l’on parle déterminent notre rapport au monde. J’ai également eu à cœur de mettre en place, à Vire, un dispositif d’insertion professionnelle par le biais de trois comédiens permanents présents dans notre théâtre pour une période de deux ans. Ils s’implantent sur le territoire, donnent des ateliers, mettent en place des actions de médiation, organisent des projets participatifs… Mon univers étant centré sur le théâtre musical, ces interprètes pratiquent aussi la musique, le chant, la danse. Mon projet donne d’autre part beaucoup d’importance aux écritures contemporaines, à la fois avec la création de textes d’autrices et d’auteurs vivants, mais également à travers des classiques revisités. Nous souhaitons accompagner des artistes qui pensent le monde d’aujourd’hui en créant des propositions à la fois généreuses, ambitieuses et accessibles. Cela, en travaillant auprès des publics adolescents et en donnant aux femmes la place qui leur revient. Également en offrant des temps de recherche aux créatrices et créateurs qui ont besoin de périodes de laboratoire.

Quel sens donnez-vous à votre engagement à Vire ?

L.B. : Candidater au Préau a été, pour moi, une façon de me demander comment il est possible de favoriser la vie culturelle en territoire rural. Le théâtre du Préau est un lieu qui a énormément d’âme. Il dispose d’une salle de 500 places, d’un atelier de construction de grande qualité. C’est un outil très intéressant pour une artiste comme moi, qui souhaite élaborer un théâtre exigeant et accessible. J’essaie toujours de m’adresser au plus grand nombre, en cherchant des réponses aux questions qui m’habitent. Par exemple, celle de savoir quel rôle la culture a à jouer au sein d’un territoire comme le nôtre, où il y a peu de brassage culturel. Ou celle de savoir comment faire en sorte que le théâtre soit vraiment un endroit qui appartienne à toutes et à tous. L’une des particularités du Préau est qu’il partage ses murs avec un cinéma. Son bar est ouvert toute la journée. Il y a énormément de jeunes qui viennent ici, tous les jours, pour travailler leurs cours, pour manger… Le Préau est un véritable lieu de vie.

« Ici on peut sentir l’impact direct sur la population des actions que l’on mène. »

Que retenez-vous de plus étonnant de ces premières années passées dans ce centre dramatique national ?

L.B. : Peut-être le fait qu’ici on peut sentir l’impact direct sur la population des actions que l’on mène. Quand on organise des résidences d’artistes, avec des équipes de création qui vivent à Vire, dans des appartements mis à disposition par la Ville, rapidement, un maillage se crée avec les habitants. C’est une chose assez exceptionnelle. De même, les comédiens permanents sont connus dans la ville. Il y a énormément de synergies possibles avec les territoires. Il s’agit d’une grande force pour un théâtre. Dans une ville comme la nôtre, la question de la responsabilité se pose différemment. Car sur un territoire disposant d’une offre culturelle réduite, la question de ce que l’on apporte apparaît de façon plus aiguë, comme celle du rôle que l’on a à jouer pour l’émancipation des adolescents, ou la manière dont on se fait l’écho du monde.

Quelles sont les grandes lignes de votre saison 2022/2023 ?

L.B. : Chaque saison du Préau a un titre. La saison 2022/2023 s’intitule Ce qui arrive. Peter Brook citait souvent une phrase d’Hamlet, que je trouve très belle : « The readiness is all ». Elle est intraduisible. Sommairement, cela veut dire « L’essentiel, c’est d’être prêt ». Cette phrase nous indique la meilleure façon de faire face à ce qui nous arrive. Alors que nous étions en train de construire la programmation, les talibans ont envahi Kaboul, puis la guerre en Ukraine a commencé. Comment se positionne-t-on face à tout cela ? Comment peut-on accepter ces événements, se construire avec eux ? Le titre de cette saison désigne un endroit de non-soumission, un endroit où l’on ne subit pas, où l’on est prêt à recevoir ce qui arrive. Avec, au cœur de ces réflexions, la question de la parole de l’artiste. Comment, en tant que créatrice ou créateur, se positionne-t-on face aux chocs du monde ? Comment les raconte-t-on ? Pourquoi sent-on la nécessité de monter sur un plateau ? Pour quel voyage, quel récit ? Toutes ces interrogations portent en elles les rêves que des artistes continuent à porter et à transmettre dans le monde chaotique au sein duquel nous vivons.

Manuel Piolat Soleymat