La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -299-Anthéa - Théâtre d’Antibes : Effervescence et créativité

Daniel Benoin est à la tête du théâtre d’Antibes depuis sa création, rencontre.

Daniel Benoin est à la tête du théâtre d’Antibes depuis sa création, rencontre. - Critique sortie  Antibes Anthéa - Théâtre d'Antibes
DR - Daniel Benoin

Entretien

Publié le 22 avril 2022

Daniel Benoin est à la tête du théâtre d’Antibes depuis sa création. Il la dirige avec le souci conjoint de la diversité des propositions, de l’accessibilité populaire et de la ferveur créative.

« Le théâtre est un point de rassemblement. »

Comment a évolué Anthéa depuis sa création ?

Daniel Benoin : En 2013, j’étais à la fois directeur du Théâtre National de Nice et conseiller artistique d’Anthéa. Je continuais la création à Nice, et Antibes avait plutôt comme vocation d’être un centre de diffusion. Puis j’ai quitté Nice et je me suis retrouvé ici, avec, pour la première fois, une équipe que j’avais entièrement choisie, avec la seule liberté comme règle. Aujourd’hui, c’est un théâtre où la création a repris toute sa place, par la production et la coproduction, où travaille une troupe associée, le collectif 8, et qui offre à voir, à dire et à montrer tout azimut. Diriger une maison depuis le plateau, c’est parfois difficile, parce que cela suppose de faire en même temps deux métiers, mais on est sûr alors que les choix se font du point de vue artistique, ce pourquoi je crois indispensable que les théâtres continuent d’être dirigés par les artistes. Pendant le confinement, les salles étaient occupées en permanence, ça créait dans tous les coins : il a fallu se calmer quand sont revenus les spectacles ! Cette effervescence fabrique du public : le théâtre est un point de rassemblement, la ville et ses habitants savent que les artistes sont là. On n’a pas 13 500 abonnés par hasard ! Anthéa n’est ni un CDN, ni une scène nationale. Le théâtre est financé par la Communauté d’Agglomération Sophia Antipolis, la Ville d’Antibes, le Département, la Région, mais pas par le Ministère, qui, pour le moment, n’a, semble-t-il, pas les moyens de faire plus. L’équipe relativement restreinte (vingt-trois personnes) travaille à fond, et le théâtre fait près de 60 % de chiffre d’affaires propre, pour un budget total de 6,5 millions dont 3 millions de subvention. Les salles sont remplies à 90 % par les 150 000 spectateurs à l’année ; les gens viennent d’un peu partout, jusqu’à une heure de voiture alentours : bref, c’est un théâtre qui fonctionne bien et qui, en dix ans à peine, a acquis une présence très forte sur le territoire.

Quelle est la spécificité de votre programmation ?

D.B. : Les CDN ont un cahier des charges précis où le théâtre tient 90 % de la programmation. Ici, il n’y a pas de règles de ce genre. Je sais que le public cherche aussi autre chose : la danse, le théâtre visuel, la musique, le one man show, tout ce qui fait le spectacle vivant et sa diversité. Anthéa est un lieu où les gens aiment à se retrouver. Par l’abonnement – formule à laquelle je crois beaucoup car elle est une occasion de surprise heureuse plutôt qu’une contrainte – les spectateurs découvrent des choses qu’ils ne connaissent pas. Cela permet le renouvellement des publics. Le pari risqué de Jean Leonetti, spectateur lui-même assidu qui voit plus d’une vingtaine de spectacles par an, et qui a voulu ce théâtre pour une ville de 75 000 habitants, est réussi. C’est indéniable. La moyenne d’âge de l’équipe est de 35 ans, celle des spectateurs à peine plus élevée. Nous faisons tout pour les convaincre que le théâtre offre à chacun des images et une force à thésauriser pour toute la vie. On sait que sur cent personnes qu’on parvient à faire venir au théâtre pour la première fois, sept iront toute leur vie : il est donc capital de faire venir le plus grand nombre et les plus jeunes.

En mai, vous créez Disgrâce, d’Ayad Akthar…

D.B. : C’est une pièce qui correspond exactement à ce que je viens de dire : une grande pièce politique qui répond à ce que doit être le théâtre, un art qui ouvre des horizons et nous aide à voir et à comprendre de manière intelligente ce qui se passe dans la société, un peu comme Le Roman d’un trader, que j’avais monté après la crise financière de 2008. La pièce d’Ayad Akthar, qui a reçu le Prix Pulitzer en 2013, met en scène quatre personnages : un avocat né au Pakistan, arrivé à sept ans à New-York et qui, musulman, athée et apostat, aspire à l’assimilation, sa femme, une artiste belle, blonde et bourgeoise, parfaite WASP, l’agent de cette dernière, juif et athée, et la femme de celui-ci, avocate noire et collègue du premier. On pourrait se croire en plein cliché ! La pièce se passe dans le New-York d’après 11-septembre, mais les déflagrations qu’elle présente pourraient se passer en France. De non-dits en faux-semblants, tout passe bientôt par-dessus bord : la loyauté, la politique, le sexe, la religion. Sami Bouajila, Adel Djemai, Mata Gabin, Alice Pol et Olivier Sitruk sont époustouflants, et je prends un grand plaisir à défendre ce texte dans lequel l’avocate noire dit qu’elle ne supporte pas qu’on prenne la Bible pour la constitution, ni la constitution pour la Bible…

Pendant ce temps, L’Avare continue…

D.B. : La pièce est prolongée à Paris jusqu’au 15 mai et continue à tourner à partir de septembre et jusqu’en janvier 2023, en France, en Suisse et en Belgique. Michel Boujenah est sélectionné pour les Molières. Je suis content pour lui, surtout parce que je crois que ce rôle va changer sa vie professionnelle. Il réussit à donner à Harpagon l’humanité poignante qui correspond parfaitement au dernier théâtre de Molière, qui est un théâtre du désespoir. Je crois que je l’ai saisi quand le directeur du théâtre de Stockholm m’a demandé, il y a vingt ans, de monter cette pièce. J’ai été obligé de comprendre la traduction en suédois en me la faisant expliquer et c’est alors que d’autres hypothèses d’interprétation ont surgi, comme si l’on comprenait mieux sa culture depuis une autre. J’avais eu exactement la même impression en découvrant, à Munich en 1976, l’adaptation du Misanthrope par Hans Magnus Enzensberger. Cette capacité à reconsidérer l’œuvre à partir d’un autre point de vu m’a aussi guidé dans la mise en scène du Macbeth de Verdi.

Comment ?

D.B. : J’ai commencé à penser à une mise en scène pour cet opéra pendant le confinement. Deux conceptions radicalement différentes s’imposaient et c’est la lecture de La Sorcière, de Michelet, qui m’a permis de trancher. Quand on pénètre la pièce de Shakespeare, et plus encore l’opéra de Verdi, on s’aperçoit combien les sorcières y jouent un rôle capital. Michelet explique comment ces femmes, qui refusaient l’emprise des hommes jusqu’à penser créer une société sans eux, ont été brûlées pour avoir osé ce défi et cette révolte. Je résistais à la facilité d’une mise en scène médiévale pour cet opéra. Qui sont les femmes, dans notre histoire, qui ont ainsi remplacé les hommes ? Celles de la Première Guerre mondiale, qui ont pris le boulot et la place des hommes et que les soldats de retour du front ont remises au pas. En considérant l’œuvre à travers ce prisme, les choses s’éclairent jusqu’au bout.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Macbeth
du mercredi 8 juin 2022 au vendredi 10 juin 2022
Anthéa - Théâtre d'Antibes
260, Avenue Jules-Grec, 06600 Antibes

Macbeth, d’après William Shakespeare, musique de Giuseppe Verdi, direction musicale de Daniele Callegari, mise en scène de Daniel Benoin. Les 8 et 10 juin.

Tél : 04 83 76 13 13.

www.anthea-antibes.fr

 

 

L’Avare, de Molière, mise en scène de Daniel Benoin. Jusqu’au 15 mai, du mercredi au samedi à 20h30 et le dimanche à 15h30. Théâtre des Variétés, 7, boulevard Montmartre, 75002 Paris. Tél. : 01 42 33 09 92.

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