Cycle Pommerat : Le Petit Chaperon rouge, Ça ira (1) Fin de Louis et Contes et légendes

Quelle science du théâtre, subtile, originale, prodigieuse ! Unissant en un geste le texte et la mise en scène, Joël Pommerat impressionne, interroge, ouvrant de multiples perspectives sans suivre une piste établie. Servi par une époustouflante maîtrise des effets scéniques, son théâtre développe un art du questionnement, un art de la relation nourri d’une foule de détails révélateurs, éclairant la complexité de la nature humaine. Un théâtre aussi sensible et singulier, éloigné de tout parti pris idéologique, de tout surplomb, de toute simplification, fait un bien fou ! Avec un talent de magicien, il œuvre à l’endroit de troublants frottements entre monde réel et monde imaginaire, mais aussi entre le poétique et le politique. Merveilleusement vivant, toujours façonné par une dramaturgie qui nous place au cœur des choses, il aime à explorer l’intime et ses répercussions. Le Festival d’Anjou propose de (re)découvrir trois de ses pièces. Premier des contes qu’il a réécrit en 2004 avant Pinocchio (2008) et Cendrillon (2011), Le Petit Chaperon rouge, partition visuelle et sonore parfaitement structurée, donne à voir autrement la peur et l’inconnu, dans une dimension à la fois fantastique et concrète (les talons de la mère pressée qui martèlent le sol en sont un signe). « Je voulais parler d’aujourd’hui à des enfants d’aujourd’hui. » confie-t-il. Des enfants qui affrontent « le désir et la peur de grandir » à travers une drôle de rencontre, envoûtante pour les petits et les grands.

Irruption du désordre

Contes et légendes s’inscrit aussi dans la veine intime, dans un futur plus ou moins proche où les familles s’adjoignent volontiers les services d’un robot, afin d’aider les enfants dans l’apprentissage scolaire, entre autres possibles missions. Un robot, ou plutôt une « personne artificielle », tant elle ressemble à l’humain, y compris dans sa dimension affective. Qu’est-ce que ces compagnons androïdes provoquent dans les comportements humains ? Comment se construisent le regard sur l’autre, le langage, les identités ? Traduisant brillamment ces questions sur le plateau, une dizaine de brefs récits théâtraux mettent en scène des interactions à la fois drôles et émouvantes. Si la ressemblance est frappante entre humains et androïdes, il s’avère néanmoins aisé de différencier les ados énervés des robots aux  gestes mesurés et perruques soignées, révélant en miroir ce qui constitue l’humain, ce qui dysfonctionne. Il est à cet égard stupéfiant de savoir que les humains comme les robots sont interprétés par des comédiennes, plutôt de petite taille !

Un théâtre profondément vivant

Fresque captivante inspirée par la Révolution française, Ça ira (1) Fin de Louis (2015) met en jeu le processus insurrectionnel visant à transformer le pouvoir vers la démocratie à travers des paroles publiques qui s’affrontent et jaillissent comme un flot tumultueux, explorant plus particulièrement la période de 1787 à 1791. Le spectacle parvient à faire résonner de manière aiguë les questions fondamentales de la conquête et de l’exercice du pouvoir, de l’articulation entre action individuelle et collective, entre pensée et action. Le metteur en scène affirme plus que jamais une proximité avec les spectateurs, témoins donc participants dans l’agora assemblée. Le travail minutieusement documenté à partir de textes d’archives crée autour de la figure royale de Louis – le pouvoir incarné et nommé – un feu d’artifice de paroles en action, libérant des émotions exacerbées. Ni reconstitution historique ni théâtre documentaire, ce théâtre interroge pleinement notre présent inquiet.

Agnès Santi