Focus -293-La Muse en Circuit crée Erreurs salvatrices
Créer, une réappropriation permanente, rencontre avec Wilfried Wendling
Au cœur de ces Erreurs salvatrices, ce « jeu de dupes » qu’entretient tout acte artistique, où tout récit porte en lui sa propre falsification, où toute perception est sujette à interprétation. Le « propre même du spectacle vivant » selon Wilfried Wendling.
Erreurs salvatrices fait suite à Müller Machines que vous aviez proposé en 2012, avec les mêmes Denis Lavant et Cécile Mont-Reynaud. Est-ce le prolongement de l’œuvre ou est-ce autre chose ?
Wilfried Wendling : C’est entre les deux. Dans mon travail artistique, et notamment le travail au plateau, j’aime l’idée de cycle, d’épuisement du matériau. Travailler sur la longueur autour d’un auteur ou d’une idée — comme je l’ai fait avec les archives ou les espaces publics — permet une approche par la variation, la modification permanente. C’est pour moi une qualité spécifique du spectacle vivant, à l’opposé de ce que serait un spectacle « mort », s’en tenant à ce qui est écrit, figé sur le disque ou la pellicule. Cette problématique est très présente chez Heiner Müller, dont les textes sont comme hantés par des fantômes et l’idée de la résurrection.
« Je revendique le lâcher-prise. »
Faire vivre ces textes aujourd’hui, est-ce aussi les réemployer, voire les malmener ?
W.W. : J’aime l’idée de trahison des auteurs. On a beaucoup perdu le sens de l’interprétation dans la musique dite classique ; ce que l’on cherche aujourd’hui, c’est surtout la reproduction d’un texte sanctuarisé. Or ce qui m’intéresse et qui est fondamental chez Heiner Müller, c’est la ré-appropriation du texte, cette façon de rendre sienne la parole d’un autre. Dans ses œuvres dramatiques, comme Quartett ou Hamlet-Machine, il y a toujours le spectre d’une œuvre qu’il réinterprète et nous pousse à réinterpréter à notre tour. Il crée, jusqu’à la saturation, une telle quantité de sous-textes, qu’il nous oblige à choisir. Dans l’un des textes que j’utilise pour Erreurs salvatrices, intitulé « Le Théâtre de la submersion », il invite le spectateur à lâcher prise, ce qui veut dire aussi qu’il lui laisse la responsabilité de sa propre lecture.
Comment les textes d’Heiner Müller sont-ils restitués ?
W.W. : Il y a quatre dimensions du rapport au texte. D’abord la voix off, qui est une désincarnation, une dichotomie entre le corps et la voix ; même quand le comédien est sur scène, j’aime utiliser sa voix enregistrée, travailler la présence et l’absence. Puis il y a le texte lu en vidéo, le texte lu en audio et enfin le texte « incarné », comme on l’entend de façon traditionnelle au théâtre. Ces quatre dimensions se prolongent par la poésie vocale, par la déconstruction du mot.
« Chaque représentation doit être unique, je ne veux pas d’un spectacle reproductible. »
Quels sont les différents temps de travail sur un spectacle comme celui-ci ?
W.W. : Le processus est une création permanente. J’entends pousser la question de l’improvisation jusque dans la structure même. Chaque représentation doit être unique, je ne veux pas d’un spectacle reproductible. Même si les textes sont les mêmes, la séquence n’est jamais jouée de la même façon. Dès les premières répétitions, il s’est agi d’inventer l’intégralité de la forme, d’être déjà comme en représentation, pour éprouver le temps et entrer dans ce processus de variations que j’ai évoqué.
Qu’est-ce qui est fixé avant la représentation ?
W.W. : Très peu de choses. Il s’agit surtout de maintenir l’équilibre entre le texte, les parties musicales, chorégraphiques, corporelles, plastiques. J’essaie de communiquer le moins de directives possibles aux interprètes. Par exemple, Denis sait ce qu’il a à lire ou à dire, ce qui sera en vidéo, le début, la fin… et c’est presque tout. Les interprètes sont dans la découverte et l’écoute permanente les uns des autres.
Est-ce que ces possibilités infinies peuvent être envisagées par le compositeur ou n’a-t-il plus prise sur la réception de son œuvre ?
W.W. : La volonté de maîtrise totale est une tradition très dix-neuvièmiste, un fantasme néo-wagnérien. Au contraire, je revendique le lâcher-prise. C’est ce que j’ai éprouvé dans mon travail sur l’espace public, en particulier avec le projet Fake, qui varie en fonction de l’espace particulier où il est conduit. Il n’y a pas un seul type de spectateur, ni même un type de comportement par spectateur. Chacun a la liberté des choix qu’il fait à l’intérieur de l’œuvre.
Propos recueillis par Jean-Guillaume Lebrun
A propos de l'événement
Erreurs salvatrices de Wilfried Wendling,production de La Muse en Circuit - Centre national de création musicale, 18 rue Marcelin Berthelot, 94140 Alfortville. Tél. : 01 43 78 80 80.
https://alamuse.com/productions/muller-erreur-peut-etre-salvatrice/
Création le vendredi 26 novembre au Théâtre de l’Archipel - scène nationale de Perpignan, avenue du Général Leclerc, 66000 Perpignan. Tél. : 04 68 62 62 00.
Représentations les mardi 30 novembre et mercredi 1er décembre à 20h et 21h à La Maison des Arts de Créteil, Place Salvador Allende, 94000 Créteil. Tél. : 01 45 13 19 19.
Représentations du 6 au 18 décembre à 19h30 (relâche mercredi et dimanche) au Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan, 75014 Paris. Tél. : 01 85 53 53 85.