La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -181-gemeaux

CHRISTIAN SCHIARETTI

CHRISTIAN SCHIARETTI - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2010

TRIOMPHE DE LA VIE

NADA STRANCAR ET DIDIER SANDRE INTERPRETENT BRECHT ET CLAUDEL EN UN DIPTYQUE MIS EN SCENE PAR CHRISTIAN SCHIARETTI. DEUX MOMENTS D’EXCEPTION EN ALTERNANCE ET EN COMPLEMENTARITE POETIQUE.

« Réaffirmer que l’œuvre d’art est la seule réponse à la mort. » Christian Schiaretti
 
Nada Strancar reprend le spectacle que son accident cardiaque avait arrêté. Pourquoi cette reprise ?
Christian Schiaretti : Quand Nada est revenue de son suspens, de son voyage, elle n’avait pas vécu ce que nous avions vécu pendant ce temps. Pour elle, elle avait chuté, s’était arrêtée après avoir dit « excusez-moi » aux spectateurs présents ce soir-là. Quand elle est revenue, elle s’est retrouvée dans la situation d’un arrêt en cours de route et la première chose qu’elle a demandée était de finir de jouer ce spectacle. Il faut vraiment reconnaître et remercier – et je le dis avec sincérité et sans aucune courtisanerie – la générosité avec laquelle Françoise Letellier, qui était dans la salle le soir où Nada est tombée, a accepté d’accueillir la reprise de ce spectacle. Cette reprise est à la fois le respect d’un engagement vis-à-vis du public et le moyen de réaffirmer que l’œuvre d’art est la seule réponse à la mort. La démarche artistique discute avec notre discontinuité du point de vue de l’éternité. Cette reprise, comme toujours l’œuvre d’art, signe le triomphe de la vie. Aujourd’hui, Nada va bien et je suis très heureux de continuer ce spectacle avec elle. Elle le reprend avec la même configuration instrumentale pour servir la musique de Dessau qui est compliquée et difficile à apprivoiser, d’une rigueur telle qu’on pourrait la confondre avec de la rigidité, mais aussi pleine d’humour, d’un humour qui dialogue avec celui de Brecht.
 
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène ces deux spectacles en diptyque ?
C. S. : L’alternance permet aux artistes de respirer. Mais ce rythme met aussi en dialogue plusieurs couples passionnants. D’abord celui que constituent Didier Sandre et Nada Strancar à la ville, ici réunis sur la même scène. Ensuite le couple Brecht/Claudel. Ce n’est pas la première fois que je les mets en tension. Je l’avais fait avec Alain Badiou dans Les Citrouilles. Ce sont deux grands poètes d’abord, deux grands dramaturges ensuite qui ont tous les deux Rimbaud comme incandescence nécessaire. L’un le fait au nom d’une lecture marxisante, l’autre catholique, mais le plus important c’est l’enthousiasme de leur poésie. Tous les deux ont en commun avec Rimbaud le déplacement incessant, l’un du fait de ses fonctions diplomatiques, l’autre à cause de l’exil. Et tous les deux sont des auteurs de l’énorme. Autre couple à explorer : celui de leur rêve musical. Brecht a travaillé avec Weill, avec Eisler, avec Dessau ; il y a chez Claudel un dialogue implicite avec Wagner, une fraternité avec Honegger, avec Milhaud. Ce diptyque a donc une résonance esthétique même si elle n’est pas dramaturgique.
 
Qu’est-ce que La Messe là-bas, que va interpréter Didier Sandre ?
C. S. : C’est avec les Cinq grandes odes et La Cantate à trois voix, l’un des plus beaux textes lyriques et liturgiques de Claudel. Il l’a écrit en 1917, quand il était en poste diplomatique à Rio de Janeiro. C’est la guerre en Europe et « l’exil lui apprend la patrie », dit-il. Il est loin de sa femme et de ses enfants, l’histoire avec Rose Vetch est dépassée depuis Partage de midi. On sent chez lui, sinon une tentation suicidaire, au moins de la dépression. Le poème suit les différents moments de la messe. La forme théâtrale que j’ai choisie est en écho à la forme cabaret de Nada. Non pas qu’il s’agisse d’un cabaret Claudel ! On travaille plutôt la discontinuité ! Mais le travail sera accompagné d’une production musicale de façon que chaque poème trouve sa personnalité et face sentir cette absence du monde qui caractérise cette œuvre. Je connais Didier Sandre depuis longtemps. C’est lui qui m’a proposé de travailler sur ce texte. Chez Didier, la respiration technique est accomplie : c’est un acteur qui est au sommet de l’art dramatique. En mettant son savoir-faire au service de Claudel, il rend l’art dramatique à son essence.

Propos recueillis par Catherine Robert


Nada Strancar chante Brecht / Dessau.
Reprise exceptionnelle. Mardi et mercredi à 20h45 et jeudi à 20h. Didier Sandre dit
La Messe là-bas, de Paul Claudel. Vendredi et samedi à 20h45 et dimanche à 17h. Mise en scène de Christian Schiaretti.
Du 27 novembre au 19 décembre.

A propos de l'événement



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