La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Entretien

Camille Trouvé et Brice Berthoud convoquent l’intime et les mythes au cœur du politique

Camille Trouvé et Brice Berthoud convoquent l’intime et les mythes au cœur du politique - Critique sortie  Mont-Saint-Aignan Centre National Dramatique de Normandie-Rouen
Légende photo : Camille Trouvé et Brice Berthoud de la compagnie Les Anges au Plafond crédit : © Arnaud Bertereau

Camille Trouvé et Brice Berthoud

Publié le 24 octobre 2023 - N° 315

Les spectacles des Anges au Plafond s’efforcent toujours de conjuguer trajectoires individuelles et mouvements de l’Histoire, afin de mettre en valeur l’humain au cœur de la tragédie. Choisissant pour matériau la crise grecque, ils explorent ici de nouvelles façons de faire théâtre.

Il semble que cette pièce ait une dimension politique très forte ?

Camille Trouvé : Nous sommes fidèles à notre idée de mêler l’intime et le politique. Beaucoup de nos spectacles partent d’une interrogation ou d’une colère à laquelle le spectacle va nous aider à répondre. Il y a de cela ici, la conscience politique d’un meurtre social… Mais d’autres sujets ont surgi, par exemple la question de l’amitié qui permet de voir l’humanité des personnages. Cette amitié qui essaie de se réparer raconte la difficulté de ne pas trahir ses idéaux.

Brice Berthoud : C’est une politique intime, celle qui consiste à vivre ensemble, dans la Cité. Et ici la Cité c’est l’Europe. Comment avons-nous pu rêver d’assembler nos différences, et qu’elles soient finalement à ce point exacerbées qu’elles nous empêchent de vivre ensemble ? La pièce parle aussi de comment les Grecs ont été stigmatisés. Cela a été d’une très grande violence. L’humour nous permet d’en parler en mettant un peu de distance.

Cette envie de raconter la crise grecque se nourrit-elle en partie de votre propre expérience ?

C.T. : Nous partons dans la pièce du point de vue d’amis franco-grecs. On traverse avec eux une discussion qui dit une forme d’impuissance devant la destruction d’un modèle social, économique… et ce sont des discussions que nous avons vraiment eues.

B.B. : Une phrase prononcée par ces amis est revenue comme un mantra tout au long du processus créatif : “Vous ne pouvez pas comprendre”. Le sentiment d’impuissance est quelque chose qui est resté.

Pourquoi avoir fait appel pour la première fois à un auteur ?

B.B. : Nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas être seuls pour raconter cette histoire. Nous avons cherché quelqu’un qui la connaît mieux que nous, qui la vit et qui l’écrit. Nous avons trouvé dans Chrístos quelqu’un qui sait écrire sur une Grèce contemporaine qui est la Grèce du Pirée, celle des pauvres et des rejetés.

C.T. : Nous avons été plusieurs fois à Athènes et nos rencontres ont renforcé l’idée que nous n’étions pas les mieux placés pour dire ce qui s’est passé. En tant que raconteurs d’histoires, nous aurions peut-être eu tendance à poétiser un peu cette parole. Chrístos a quelque chose de tranchant dans son écriture et dans sa personnalité, et cela nous a permis de ne pas passer à côté de ce théâtre du réel.

B.B. : C’est un polémiste. Nous avions besoin d’une confrontation, nous avons cherché quelqu’un qui pouvait ne pas aller dans notre sens. Mais toujours, même quand nous n’étions pas d’accord, nous avons fait l’effort de nous comprendre.

« Beaucoup de nos spectacles partent d’une interrogation ou d’une colère à laquelle le spectacle va nous aider à répondre. »

Pourquoi avoir cette fois mis en scène et dirigé les interprètes sans jouer vous-mêmes ?

B.B. : C’est la première fois dans l’histoire des Anges que nous sommes tous les deux à l’extérieur.

C.T. : Depuis notre rencontre, cela a été un jeu de nous mettre en scène mutuellement, nous y avons trouvé énormément de joie et de ressources. Mais maintenant nous avons l’excitation de nous dire : “Faisons les choses différemment, cherchons ailleurs”. Pour L’oiseau de Prométhée, nous avons eu envie de rencontrer une nouvelle équipe, de chercher une forme de justesse. J’adore l’équipe de jeu, ils sont sept au plateau et ce ne sont que des nouvelles rencontres.

La marionnette garde-t-elle une place éminente dans votre écriture ?

C.T. : La pièce est centrée sur quatre amis qui ont des choses à se partager et des choses à raccommoder. La marionnette vient pour résoudre cette discussion difficile, elle surgit de leur parole. Ils vont faire appel à la politique de l’époque, à la mythologie… Elle vient dire aussi des sentiments qui ne sont pas dicibles.

B.B. : Et mettre sur scène des dieux permet d’amener l’alternative. Car Dionysos est aussi le dieu de l’esprit, et il dit que, peut-être, il y aurait une alternative qui ne passerait pas par l’austérité mais par une forme de joie… Et puis, pour ce qui est des marionnettes des politiques, c’est trop amusant : avoir la chance de représenter sur scène Merkel qui se fait disputer par Dionysos, on n’a pas su résister.

Propos recueillis par Mathieu Dochtermann

A propos de l'événement

L’oiseau de Prométhée
du mardi 14 novembre 2023 au samedi 18 novembre 2023
Centre National Dramatique de Normandie-Rouen
Espace Marc-Sangnier, Rue Nicolas Poussin, 76130 Mont-Saint-Aignan

Du 14 au 16 novembre 2023 à 20h, et le 18 novembre 2023 à 18h. Tél : 02 35 70 22 82.

Également les 16 et 17 janvier 2024 au Grand R à La Roche-sur-Yon, les 24 et 25 janvier à la Maison de la Culture de Bourges, les 30 et 31 janvier au Théâtre Jean Lurçat à Aubusson, les 7 et 8 février au Théâtre des Quartiers d’Ivry, les 21 et 22 février à la Maison de la Culture d’Amiens, les 7 et 8 mars aux Passerelles Scène de Paris - Vallée de la Marne à Pontault-Combault, les 21 et 22 mars à Malakoff scène nationale dans le cadre du Festival MARTO, le 26 mars au Théâtre Paul Eluard à Choisy-le-Roi, et les 3 et 4 avril à la Comédie de Caen et au Sablier CNMa d’Ifs

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le spectacle vivant

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le spectacle vivant