La Terrasse

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Théâtre - Gros Plan

Festival d’Avignon, 66e édition

Festival d’Avignon, 66e édition - Critique sortie Théâtre
© John Hodgkiss Refuse the Hour par William Kentridge.

Publié le 10 juin 2012 - N° 199

Concoctée par Hortense Archambault et Vincent Baudriller en collaboration avec l’artiste associé Simon McBurney, la programmation 2012 s’avère particulièrement stimulante.

Du 7 au 28 juillet 2012, la 66e édition du Festival d’Avignon donne à voir un théâtre sans frontières et s’affirme comme lieu unique d’invention et de partage. C’est un panorama de la créativité contemporaine particulièrement stimulant que propose cette programmation 2012, à travers des talents majeurs de la scène internationale ou des artistes émergents. A voir des mises en scène d’œuvres littéraires, des performances visuelles et sensorielles, etc. S’exprime une grande diversité des esthétiques, structurées par des transversalités et croisements. Par définition les artistes ne sont pas là pour reproduire mais pour imaginer, pas là pour se conformer mais pour dévier, pour s’aventurer sur des pistes inexplorées.  Littérature – qu’il s’agisse de textes de répertoire ou d’auteurs vivants -, arts visuels, musique, danse, performance nourrissent les dramaturgies, pour créer des « formes nouvelles », comme le réclamait Tchekhov, exceptionnel auteur  cher à nos cœurs !  Et formes nouvelles ne veut pas dire réservées à quelques happy few. Comme le soulignent aussi simplement que justement Hortense Archambault et Vincent Baudriller  : « Le théâtre populaire est  un dispositif qui permet au spectateur d’être pleinement participant. » En s’efforçant de mettre en pratique cette définition (« utopie nécessaire » selon Vilar), et en s’attachant à présenter des œuvres décloisonnées mêlant diverses disciplines, les deux directeurs célèbrent activement Jean Vilar, fondateur du Festival en 1947, qui a lui-même convié dès les années 60 des formes artistiques différentes au Festival, comme en 1967 la célèbre Messe pour le Temps présent de Maurice Béjart. « Il a su conjuguer l’audace artistique et l’inscription de son art dans une relation nouvelle avec le spectateur. » confient les directeurs du Festival, qui reconnaissent dans cet héritage vilarien leur mission d’aujourd’hui.

Langage novateur

L’artiste associé de cette édition représente dignement cette « audace artistique » par sa capacité à créer un langage novateur, mêlant grâce à une grande virtuosité technique les mots, les images, la musique, les corps et les gestes, tout en laissant au jeu d’acteur un rôle fondamental au sein de ses œuvres. Simon McBurney et la compagnie Complicite présentent dans la Cour d’honneur Le Maître et Marguerite de Mikhail Boulgakov, roman épique et fantastique extraordinairement foisonnant, critique sociale autant que parcours spirituel. Autres mises en scène de “grands textes“ : Arthur Nauzyciel crée dans la Cour d’honneur La Mouette d’Anton Tchekhov, dans un univers peuplé de figures fantomatiques, et questionne : « L’art peut-il donner du sens à nos vies gâchées ? ». Thomas Ostermeier, habitué du Festival dont le talent percutant fait résonner les textes au cœur du monde d’aujourd’hui, monte Un Ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, explorant le pouvoir de l’argent et la question de la démocratie dans un système capitaliste débridé. Stéphane Braunschweig adapte Six personnages en quête d’auteur de Pirandello, et s’interroge sur les formes théâtrales actuelles.

Défi de la représentation

Parmi les textes récents portés à la scène, Disgrace par le hongrois Kornel Mundruczo d’après le roman de J. M. Coetzee, metteur en scène exposant sans détour la violence dont l’homme est capable. Christophe Honoré fait revivre sur la scène des écrivains du Nouveau Roman, Guillaume Vincent écrit et met en scène La Nuit tombe dans un hôtel imaginaire, Katie Mitchell, qui avait fait forte impression l’an dernier, adapte Les Anneaux de Saturne de W. G. Sebald et présente aussi Ten Billion sur notre environnement en danger. Nicolas Stemann explore les dérives de la spéculation financière à travers Les Contrats du commerçant. Une Comédie économique d’Elfriede Jelinek, et de même Bruno Meyssat met au jour les conséquences de la financiarisation de l’économie dans 15%, chiffre indiquant le retour sur fonds propres attendu par les investisseurs. Les artistes s’emparent donc de problèmes contemporains en se confrontant au défi formel et conceptuel de leur représentation sur la scène. Le Mapa Teatro évoque les violences politiques en Colombie, Lina Saneh et Rabih Mroué affrontent le suicide d’un militant libanais  des droits de l’homme, Diyaa Yamout.

Le théâtre comme art total

Le théâtre total imprégné de musique de Christoph Marthaler propose My Fair lady. Un Laboratoire de langues. Le théâtre spirituel et sensoriel de Romeo Castellucci, bousculant l’imaginaire des spectateurs avec science, interroge dans The four Seasons Restaurant  le thème essentiel de l’image. Sidi Larbi Cherkaoui présente Puz/zle, combinant divers agencements dans un ensemble. Artiste fine et singulière, Nacera Belaza crée Le Trait. Josef Nadj nous entraîne dans un petit théâtre intime influencé par les gravures de Dürer. Jérôme Bel met en scène dans Disabled Theater des acteurs professionnels handicapés. L’art et la science se rejoignent dans Refuse the Hour de William Kentridge, qui donne consistance au temps. Steven Cohen rejoint l’universel et le politique par l’intime. Il présente sous la scène de la Cour d’honneur dans un espace spécialement aménagé (une première !) Title withheld. For legal and ethical reasons, création fondée sur le journal d’un jeune juif français tenu entre 1939 et 1942, ainsi que salle Vedène The cradle of Humankind, qu’il interprète avec sa nounou de 90 ans. Signalons enfin que le projet d’un lieu de répétitions et de résidence pour les artistes du Festival, défendu avec ténacité par Hortense Archambault et Vincent Baudriller, se concrétise. Le chantier a débuté pour une livraison en juin 2013 : un nouvel horizon et un outil formidable pour la création.

Agnès Santi


66e Festival d’Avignon, du 7 au 28 juillet 2012. Billetterie à partir du 18 juin : 04 90 14 14 14. www.festival-avignon.com

A propos de l'événement


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