La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2011 Entretien / Bernard Lubat

« Faire de l’art à l’œuvre plutôt que des œuvres d’art »

« Faire de l’art à l’œuvre plutôt que des œuvres d’art » - Critique sortie Avignon / 2011
© Bun Phannara

Publié le 10 juillet 2011

Depuis 1978, Bernard Lubat a fait d’Uzeste un festival d’actions musicales et de manifestations tonitruantes. Dans le village de son terroir qu’il a réinvesti pour mieux se réinventer, le batteur bateleur tambourine contre les idées reçues et les mal entendus. Quitte à interpeller les politiques, de gauche comme de droite, dans un festin de jeux de mots qui tombent sous le sens.

Vous êtes reparti à Uzeste au moment de l’éclosion des festivals, un phénomène qui a été amplifié avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, les années Lang…
Bernard Lubat : Oui, ce début où les gens ont cru à un nouveau père Noël. Tout le monde croyait à un show-biz bis du jazz : enfin le jazz allait être reconnu, enfin il y aurait des stars du jazz… Voilà le niveau ! Des couillons couillonnés et des cocos cocus. Moi, j’ai pris la tangente, et croyez-moi, ce n’était pas branché d’aller s’embrancher dans les bois. On me plaignait ! Qu’est-ce qu’il fait là-bas Lubat ? Pendant ce temps, tout un tas de festivals sont apparus, et la plupart n’ont pensé qu’à grossir, jamais à grandir !
 
Partir de Paris, c’était une politique de repli ?
B. L. : Non, c’était une politique d’action à la base. La base, ce n’est pas que la ville, les quartiers, c’est partout ! Et moi, je suis allé à la base terre, qui correspond à mon hasard, à mon histoire. Je suis allé dans le vide, l’endroit où il n’y avait soi-disant rien.
 
Et quelles ont été les réactions des politiques au niveau local et régional ? Avec toutes ces années, avez-vous pu constater des différences entre droite et gauche ?
B. L. : Non, c’est pareil si tu es un artiste. Il n’y a pas à attendre de miracle à droite ou à gauche, d’autant qu’une bonne partie de la gauche a mal à droite. Nous, on se coltine à quelque chose de bien plus profond : l’état de devenir artiste. C’est-à-dire donner une représentation du monde en mouvement, et non comme une finalité, et encore moins comme une affaire de carrière. L’action que je mène, je n’en vois pas la fin…
 
Cette action est éminemment politique…
B. L. : Bien entendu. Et c’est là qu’elle est artistique. Simplement, je ne suis pas dans la religion de l’esthétique, mais dans la dialectique, dans le vrai et le pas beau, le flou et le faux. Je suis dans la pratique. On n’a jamais joué le jeu de descendre la culture d’en haut à ces braves gens d’en bas, on n’est pas tombé dans le « popu-plaire » ni dans le « prorio-ritaire ». D’autres artistes, chorégraphes ou comédiens, le font aussi à leurs manières. Il y a des minorités agissantes dans ce pays encore centralisé. Les soutiens des politiques publiques que j’ai pu avoir, je les ai obtenus parce qu’ils ont bien été obligés de reconnaître notre existence, notre instance, notre impertinence. Ça fait trente-trois ans que ça dure !
 
En parallèle des programmes de la « culture pour tous »…
B. L. : Je constate que l’industrie du divertissement marche à fond le tiroir-caisse, que les grands festivals sont de plus en plus des foires d’exposition des technologies nouvelles : éclairage, écran géant… Quelle massification ! C’est de la musicolâtrie. Qu’ils soient de gauche comme de droite, tous ces artistes feraient bien d’arrêter ces messes. Ce n’est pas sérieux de faire croire que la musique vient d’en haut ! La musique n’est pas au-dessus, mais en dessous justement. Tout cela manque d’humour.

« C’est ce qui m’intéresse dans le jazz : cet improvisé, cet « à perte et sans profits »… Ça n’a pas de prix ! »

C’est un peu le sinistre ministère de la Culture sinistrée…
B. L. : Et si la responsabilité ne venait pas que des élus, mais aussi de ceux qui ont cru en eux ? Tous ceux qui ont pensé que Lang allait faire des miracles ! Les Drac ne font finalement que leur boulot : des plans quinquennaux, des bilans comptables, et les élus font face aux élections. Mais nous, les artistes, que fait-on ? Où résiste-t-on ? Moi, je ne remercie pas ceux qui me donnent des subventions, mais avec celles-ci je fais des actions. A partir de là, les élus en charge de la manne publique peuvent juger si cet argent est bien dépensé : en faisant de l’art à l’œuvre, plutôt que des œuvres d’art. C’est ce qui m’intéresse dans le jazz : cet improvisé, cet « à perte et sans profits »… Ça n’a pas de prix ! Nous, on donne. Impossible de faire comme eux, des petits comptes, des services rendus. A nous de déplacer la société. Comme disait Oscar Wilde : « Je m’occupe du goût du public, je lutte contre. » Je ne suis pas à son service. Et encore moins à celui du capitalisme financier qui, en face, écrase tout.
 
C’est quoi la solution ?
B. L. : La solution, c’est qu’il n’y a pas de solution. C’est de poser des questions, des problèmes. C’est cela le laboratoire d’Uzeste, qui n’a rien à voir avec les esthétismes romantico-évanéchiants. On n’a pas besoin d’être remercié par un succès consacré et consternant !
 
Propos recueillis par Jacques Denis

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