La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Entretien  Jean-Michel Rabeux
Le Songe : éloge d’une liberté « pré-monothéiste » débridée

Une voix unique célèbre une haute figure de l’Islam.

Publié le 10 mars 2007 - N° 146

L’auteur et metteur en scène Jean-Michel Rabeux, qui aime flirter du côté des
avant-gardes, interroge aujourd’hui Shakespeare. Le Songe d’une nuit d’été
pose la question de l’art à travers le corps exposé de l’acteur, un corps qui
n?a pas encore trouvé droit de cité auprès des terreurs exercées sur l’esprit et
la morale convenue. Une vision « rabeulésienne » décapante et tonique.

Comment vous êtes-vous arrêté sur Le Songe d’une nuit d’été ?

Jean-Michel Rabeux : J’ai monté cette pièce pour des raisons politiques.
Je suis effrayé par ce qui se passe aujourd’hui sur le plan des m’urs. L’?uvre
de Shakespeare en général, et Le Songe en particulier, est
l’expression d’une grande liberté. C’est une pièce libre, non pas libertine
comme l’?uvre de Laclos, de Marivaux ou de Sade, mais libre au sens rabelaisien.
Une liberté « pré-monothéiste », proche de l’Antiquité, qu’on pourrait définir
comme multiple, polygame, polythéiste, « poly »? Nous sommes un peu trop
« mono » et sclérosés par toutes les pensées « totalitarisantes » sur la
sécurité, les m’urs, la santé, la médecine. Les jeunes de vingt ans peuvent
ressentir de la peur, une inquiétude que je perçois après les représentations
lors des rencontres avec les ados et les profs, spécialistes sans le savoir de
l’autocensure. Les profs craignent les parents, les parents craignent la
société, ce qui provoque l’écartèlement des jeunes. Mes spectacles ont toujours
un rapport avec le corps.

La provocation est un peu votre griffe.

J.- M. R. : Le spectacle expose un phallus de Bottom, ce n?est pas le
premier phallus qu’on voit sur une scène du Songe. La nudité n?est pas
totale, tout est suggéré, ne serait-ce que dans l’excès du grotesque. Je reste
attentif au cours du spectacle à ne pas baisser la garde pour les raisons
politiques évoquées ; en même temps, il faut laisser une porte ouverte à
l’imaginaire pour pouvoir échapper au pire des allusions scéniques.

« J’ai monté cette pièce pour des raisons politiques. »


Votre relecture du Songe souffre-t-elle d’être en avance sur son
temps ?

J.-M. R. : Je pense être plutôt en retard pour ce qui est de la
perception de ces visions grotesques, puisqu’elles étaient familières à
Shakespeare comme à Aristophane. Toutefois, les jeunes visitent des sites très
consultés sur le net qui sont des abominations de sang et de violences que je ne
supporte pas. Le spectacle n?est pas une relecture dans la mesure où il s’ancre
dans l’oeuvre. La langue a été retravaillée, non pour échapper à Shakespeare
mais par fidélité à son esprit, pour une plus grande proximité et une meilleure
réception par une oreille contemporaine, en éliminant les traces de pétrarquisme
et les plaisanteries langagières datées.

Quelle est l’histoire du Songe d’une nuit d’été ?

J.-M. R. : La pièce raconte que les songes sont plus puissants que le
jour et que l’inconscient ne se laisse pas brider par la morale. À chacun de le
contrôler puisqu’il est là, féroce et cruel, accordant à la vie ce qu’elle est,
une explosion et une jouissance. Ce panthéisme existe dans Le Songe
« tout » désire « tout » : la lune désire les étoiles, la voix lactée désire les
hommes, les dieux désirent les bêtes, les bêtes désirent les dieux, les arbres
désirent les ruisseaux, tout s’entremêle.

La représentation fait l’éloge du désir.

J.-M. R. : C’est un éloge du désir, du plaisir et de la différence. On
joue beaucoup sur les travestissements, on ne sait plus qui est fille, qui est
garçon? Et qui est homme ? Qui est dieu ? Les trois mondes présents dans la
pièce s’entremêlent, celui de la cour et des amoureux, celui des dieux, des rois
et des fées et celui des artisans. Ainsi, les artisans dont le langage est crû
et niais, sont finalement aussi sensibles et aussi beaux que les amoureux. Les
amoureux sont aussi ridicules et drôles que les artisans, les dieux aussi
humains que les artisans’ Le sensible circule partout, à travers l’émotion chez
les artisans et l’humanité chez les dieux et les bêtes’

Les catégories de genre s’effacent.

J.-M. R. : La notion de genre n?est pas ce qui prédomine. L’enjeu
théâtral est de passer du rire au grotesque pour revenir au poétique. L’action
se situe avant les trois monothéismes à Athènes. Shakespeare a la capacité
extraordinaire de s’extraire de la pensée du XVIe siècle pour se projeter chez
les Gréco-Latins. Je suis outré par l’état actuel du monde. Les crispations
interreligieuses créent des crispations semblables sur l’individu. Le théâtre
doit trouver sa place afin que cette tension diminue.

Propos recueillis par Véronique Hotte

Le Songe d’une nuit d’été

De William Shakespeare, adaptation et mise en scène par Jean-Michel Rabeux,
du lundi au samedi à 20hh30, dimanche à 15h30, relâche mercredi, jeudi, du 5
mars au 3 avril 2007 à la MC93 1, bd Lénine 93000 Bobigny Tél : 01 41 60 72 72
www.mc93.com

Pièce créée au Théâtre de l’Agora, scène nationale d’Evry et de l’Essonne en janvier 2007.

A propos de l'événement


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