Sur les cendres en avant
Dans Sur les cendres en avant, Pierre Notte [...]
Le P’tit-bourgeois gentilhomme revisite le classique de Molière à l’aune d’une analyse post-bourdieusienne de la société contemporaine. Explications avec l’auteur et metteur en scène, Eric de Dadelsen.
Quelle différence entre le bourgeois et le petit bourgeois ?
Eric de Dadelsen : C’est un disciple de Bourdieu, Alain Accardo, qui a écrit Le petit bourgeois gentilhomme ou La moyennisation de la société. Il y explique que depuis le 19ème siècle, la classe moyenne s’est tellement étendue en nombre qu’on se retrouve aujourd’hui tous ou presque membres de cette grande catégorie. Avec au-dessus des pouvoirs invisibles, et en dessous des exclus, tout aussi invisibles. Le bourgeois auparavant aspirait à s’élever, à s’anoblir, à changer de rang, à l’image du bourgeois gentilhomme de Molière. Tandis que le petit bourgeois contemporain, en termes d’ascension, se cantonne à vouloir gagner plus d’argent.
« Les fils qui nous lient au capitalisme ne sont pas très solides, mais ils sont très nombreux. »
Y a-t-il d’autres conséquences de cette « moyennisation » de la société ?
E. de D. : Pour Accardo, l’autre conséquence majeure, c’est que, dépourvu de modèle à envier, le petit bourgeois considère ses valeurs comme les valeurs supérieures et investit les médias où il fait la promotion de son mode de vie. La moyenne va donc devenir la norme, comme en témoigne par exemple l’élection d’un candidat à la Présidentielle qui se voulait avant tout normal. L’autre perspective qu’ouvre Accardo, c’est que le capitalisme finit par exploiter la majorité parce que cette majorité y adhère. Ce qui est une autre forme de notre servitude volontaire.
Comment portez-vous ces questions sur scène ?
E. de D. : Après avoir lu l’ouvrage d’Accardo, j’ai voulu porter ses idées à la scène en réécrivant Le Bourgeois Gentilhomme dans la même dynamique que Molière. J’ai donc voulu faire une comédie truculente, joyeuse, avec une vraie intrigue, et en même temps opérer un processus de distanciation à la manière de Brecht. Doublement : à travers une forme de cabaret – il y aura des passages type karaoké dans la pièce – mais aussi via des intermèdes à caractère sociologique.
C’est donc du Molière actualisé ?
E. de D. : Absolument, mais c’est aussi du Molière à contrepied. C’est l’histoire de Raoul Jourdan, un assureur qui a réussi, mais qui pour autant ne se sent pas dans le coup. Il va donc chercher à se “moyenniser“, il va vouloir apprendre l’uniformité. Pour cela, il prend un coach dont le principal effet va être d’érotiser Monsieur Jourdan et tout son entourage. Cet érotisme, c’est pour moi tous ces menus plaisirs qui nous tiennent attachés au système. Comme Gulliver qui pourrait se libérer de ses attaches, les fils qui nous lient au capitalisme ne sont pas très solides, mais ils sont très nombreux. C’est une somme de désirs, de séductions dont nous ne parvenons pas à nous passer.
Propos recueillis par Eric Demey
mai à 20h30, le samedi et dimanche à 16h. Tel : 01 48 08 39 74.
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