La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Entretien Claude Guerre

Entretien Claude Guerre - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 octobre 2008

Tony Harrison : un grand poète de la contestation

Chaque année, la Maison de la Poésie reçoit un grand poète du monde. Claude Guerre propose ainsi de rencontrer Tony Harrison, poète, homme de théâtre, traducteur – helléniste de premier plan – et cinéaste méconnu en France, né à Leeds en 1937 dans une famille de mineurs. Au programme : rencontres débats, lectures par le poète, projections de films et création française du poème épique V. Une voix à découvrir autant pour la qualité de la forme poétique que pour celle de ses révoltes.

Comment s’organise la rencontre avec le poète ?
Comme une sorte de cérémonie politique, où on présente plusieurs facettes de son travail : son cinéma à travers trois films-poèmes, sa poésie, qu’il va lire lui-même et qui sera traduite et dite en français par Gérard Watkins. Et pour inaugurer ce périple de connaissance, on le reçoit le 8 octobre avec des poètes français qui lui ressemblent : Armand Gatti, Leslie Kaplan et Jacques Darras. A partir du 11 octobre a lieu la création française de V., que je mets en scène avec l’acteur Guillaume Durieux sur un texte en alexandrins français de Jacques Darras. C’est un spectacle très musical, dont Jean-Philippe Dary signe la composition.  

Quelle est la forme du poème ?
Le poème épique est écrit dans la forme anglaise la plus  traditionnelle, celle qu’on retrouve de Shakespeare jusqu’à aujourd’hui : le pentamètre, vers de dix pieds. Dans cette forme rimée, très cultivée, allégorique et métaphorique, Tony Harrison fait entrer le langage de la rue, les mots les plus grossiers. Le poème s’inscrit aussi dans  la tradition anglaise du recueillement des poètes dans les cimetières, qui ne sont pas à l’écart des villes comme en France. A Leeds, le cimetière est au milieu de la ville. Le spectacle commence par un film sur les racines du poème que j’ai tourné sur place. Le poème a été écrit en 1985 lors de la guerre des mineurs, qui a duré un an, et a fini par la fermeture des mines. Tony Harrison a pris parti pour les mineurs contre Thatcher. Il a consacré toute sa vie à la contestation et  à défendre les petites gens. Lorsque le poème a été programmé par la BBC, le scandale a été terrible. La grande presse populaire a édité des unes expliquant que l’homme était dangereux et a publié le poème avec des parties entières rayées en noir. Une autre presse plus cultivée a défendu le poème et un journal l’a publié in extenso. Une exposition montre ces unes.

 « Le poème marque la fin d’une certaine vision du monde et de la vie syndicale, sociale et politique. »


Que raconte le poème ? 
Dans le cimetière le poète va sur la tombe de son père et trouve les tombes taguées par des nazis, des hooligans, avec les habituels croix gammées, noms du club de foot, injures contre les immigrés, etc. Le poète engage la discussion avec l’un de ces nazis, comme une espèce de père avec un fils. Il ne lui parle pas seulement du respect qu’on doit aux morts, mais explique que lui aussi taguait le V. de la victoire dans la guerre contre les nazis. Ainsi s’engage un débat politique intense entre un homme d’extrême gauche qui pense en termes de  libération de l’humanité, et un nazi d’extrême droite. En même temps le fils dit à cette espèce de père qu’il est un poète rangé à l’abri dans sa belle maison, pas comme lui, chômeur, abandonné, sans lien avec la vie sociale et l’histoire. Le poème se place à un endroit capital dans la vie de l’Angleterre et de toute l’Europe, lors de la rupture historique des années 80, au moment où les syndicats de mineurs se sont fait briser par Thatcher. Le poème marque la fin d’une certaine vision du monde et de la vie syndicale, sociale et politique. 


Le poème peut-il réveiller les consciences ? 
On pense aujourd’hui qu’il n’y a plus d’histoire sociale, qu’on ne peut plus agir sur la vie politique. C’est impensable parce qu’abandonner le combat signifie qu’on oblige la jeunesse à mettre en œuvre des réactions violentes de destruction, sans espérance ni objectifs. Le poème est d’une actualité brûlante.

Entretien réalisé par Agnès Santi


Soirées des 8, 9 et 10 octobre à 19h, V. de Tony Harrison, texte français Jacques Darras, mise en scène Claude Guerre, du 11 au 31 octobre, mercredi et jeudi à 19h, vendredi à 21h, samedi à 19h, dimanche à 17h, à la Maison de la Poésie, passage Molière, 157 rue Saint Martin, 75003 Paris. Tél : 01 44 54 53 00.

A propos de l'événement


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