La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon - Critique

Emmanuel Noblet adapte « Article 353 du Code pénal » de Tanguy Viel, le point de bascule d’une vie entravée.

Emmanuel Noblet adapte « Article 353 du Code pénal » de Tanguy Viel, le point de bascule d’une vie entravée. - Critique sortie Avignon / 2025 Avignon Avignon Off. Le 11. Avignon
Vincent Garanger (à droite) et Emmanuel Noblet dans Article 353 du Code pénal. © Jean-Louis Fernandez

Reprise / Le 11 • Avignon / texte d’après le roman de Tanguy Viel / adaptation et mise en scène Emmanuel Noblet

Publié le 20 juin 2025 - N° 334

Dans un presque-monologue reprenant l’intrigue d’Article 353 du Code pénal, roman de Tanguy Viel adapté à la scène par Emmanuel Noblet, Vincent Garanger devient Martial Kermeur. Le comédien incarne magistralement cet homme qui, après des années d’effacement, s’affranchit, par la parole, du joug du déshonneur et de la soumission.

On s’enfonce dans l’existence de Martial Kermeur comme dans une terre lourde, épaisse, parsemée de cailloux. Des brassées de mots nous entraînent au sein de cette matière dense soudainement mise en lumière par un flux ininterrompu de réalités rudes et de vérités cruelles. Pour la première fois, la parole d’un être habituellement taiseux se libère. Devenir, par la grâce d’un moment de théâtre à la puissance tellurique, les témoins d’un tel affranchissement est une chose poignante. Dans le roman écrit en 2017 par Tanguy Viel (publié aux Éditions de Minuit), un homme aux épaules basses et au regard brisé est convoqué par un juge. Cet ancien ouvrier au chômage habitant dans la rade de Brest a perdu tous ses rêves. Sa femme l’a quitté. Son fils de dix-sept ans est en prison. Un promoteur véreux l’a mis sur la paille en lui vendant un appartement dans une résidence fantôme. Empêtré dans les torpeurs vénéneuses d’un complexe de classe, le prolétaire n’a pas su se défendre. Il s’est laissé rabaisser, humilier, manipuler, avant de mettre fin à la vie d’Antoine Lazenec, jetant l’escroc à l’eau, en pleine mer, depuis son propre bateau.

Le point de bascule d’une vie

On courbe l’échine. On ravale sa salive. On sert les poings, contenant une colère, une honte, une culpabilité enfouies. Puis, un jour, tout bascule. Pour cette plongée dans la psyché humaine, Vincent Garanger déploie toute la force de l’évidence. Comme un sculpteur travaillerait la glaise, il révèle avec constance les multiples dimensions de son personnage. Rien, dans le jeu du comédien, ne cherche l’effet ou le brio. Ce qu’il produit sur le plateau est bien plus exigeant qu’une technique qui viserait un rendement immédiat. Face à cette vague de l’intime, Emmanuel Noblet (qui signe adaptation et mise en scène) incarne la présence quasi muette d’un juge-interrogateur. On pense, bien sûr, à Marguerite Duras et son Amante anglaise. L’univers d’Article 353 du Code pénal est, néanmoins, tout autre. Ici, point de silence, d’incertitude, point de non-dit. Les mots affluent sans jamais refluer. Ils dévoilent la somme d’événements successifs qui, tel un goutte-à-goutte délétère, ont fait le lit du passage à l’acte. Depuis la fosse qui aurait dû accueillir les fondations de la résidence Les Grands Sables, un homme se redresse. Il éclaire avec une précision horlogère des accablements devenus bombes à retardement.

 

Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Article 353 du Code pénal
du samedi 5 juillet 2025 au jeudi 24 juillet 2025
Avignon Off. Le 11. Avignon
11 Boulevard Raspail, 84000 Avignon

à 21h45, relâche les vendredis 11 et 18.

Tél : 04 84 51 20 10.

Durée : 1h35.

Spectacle vu aux Célestins – Théâtre de Lyon.

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