Une œuvre au long cours, que celle entamée par Emio Greco et Pieter C. Scholten, à l’image du parcours de Dante de l’enfer jusqu’au paradis. Une façon aussi de pénétrer d’un bloc dans l’univers puissant, imagé et mouvementé des deux créateurs.
Cette histoire a commencé dès 2005, à travers un duo expérimental qui préfigurait l’enfer selon Emio Greco : Double point : hell dévoilait le solo d’une danseuse mise en danger par la présence obsédante d’un double inquiétant, ombre ambiguë à la fois familière et inquiétante. L’année suivante, la pièce de groupe, Hell, venait consacrer l’art des deux complices. Tordant le cou aux mélodies des chansons de variétés populaires qui ouvraient la pièce, jetant les corps dans un académisme que son langage aime à démonter allègrement, Emio Greco posait là les bases solides d’une percée dans l’œuvre de Dante. Les références sont venues nombreuses, ensuite, à la création de (purgatorio) POPOPERA : les mêmes danseurs, le même appendice (la guitare électrique), la même ouverture puissante sur une musique bien connue (reprise de la comédie musicale Hair), les mêmes figures noires inquiétantes, les mêmes développements chorégraphiques autour de la gestuelle bien identifiable de Greco. Cette proximité avec sa vision de l’enfer peut sembler déroutante. Une suite, un développement, certes, mais pour nous emmener où ? A sa création au dernier festival d’Avignon, la pièce a souffert de la proximité d’un purgatoire d’un autre genre, celle du compatriote d’Emio Greco Romeo Castelluci. Il ne faut pas se méprendre sur les intentions du chorégraphe, pour qui le poème de Dante n’est qu’un appui, une inspiration. Aucune histoire ne se profile dans la pièce, tout au plus des impressions furtive. De fulgurante dans Hell, la gestuelle devient parfois brouillonne dans ce Popopera, presque trop foisonnante, à la limite du péché d’orgueil.
Une troisième partie nécessaire à l’évolution de la tétralogie
La deuxième version du purgatoire, (purgatorio) IN VISIONE, donne une sérieuse aération au projet dantesque d’Emio Greco et de Pieter C. Sholten. Il s’agit ici d’un solo dansé par le chorégraphe italien, comme un retour à ses propres sources. Ce purgatoire est une vision plus cristalline de la précédente, accompagné par la musique de Jean-Sébastien Bach. La Passion selon Saint-Mathieu a été revisitée par le compositeur Franck Krawczyk qui accompagne de sa présence au plateau l’intimité du danseur. Une intimité toute relative, puisque soutenue par l’orchestre de l’Opéra de Rouen qui partage l’espace avec de grandes sphères métalliques. Cette vision du purgatoire, de cet entre-deux qui intrigue tellement les deux complices, Emio Greco la transporte vers un ailleurs plus cristallin, qui touche petit à petit à l’idée de paradis. Dans l’idée, on tend ici vers un idéal, que n’a pas su nous montrer le Popopera, pétri dans ses interrogations, ses doutes, et ses promesses avortées. Délesté du poids du rock et des références populaires, le danseur tente des évolutions plus aériennes. Ce qui apparaît comme porteur d’espoir dans la musique de Bach accompagne le danseur dans un rituel de purification, autocentré sur l’homme mais en regard de son parcours d’artiste, plaisamment mis à mal par quelques écarts clownesques. Dans cette tétralogie consacrée à l’œuvre de Dante, Emio Greco et Pieter C. Scholten ont fait le choix pertinent de deux visions du purgatoire, comme pour mieux brouiller les pistes et multiplier les occasions de rêver soi-même ses propres errements.
(purgatorio) POPOPERA, spectacle vu au festival d’Avignon 2008.
(purgatorio) IN VISIONE d’Emio Greco et Pieter C. Scholten, du 9 au 13 décembre à 20h30, et (purgatorio) POPOPERA d’Emio Greco et Pieter C. Scholten, du 16 au 19 décembre à 20h30, au Théâtre de la Ville, 2 place du Châtelet, 75004 Paris. Tel : 01 42 74 22 77.