La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2011 Entretien / Philippe Poirrier

Du militantisme à la gestion

Du militantisme à la gestion - Critique sortie Avignon / 2011
Crédit : DR

Publié le 10 juillet 2011

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, Philippe Poirrier* revient sur les relations qu’entretiennent les partis politiques français avec la culture.

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, Philippe Poirrier* revient sur les relations qu’entretiennent les partis politiques français avec la culture.
 
Quels sont, historiquement, les rapports qu’entretiennent les partis politiques français de gauche et de droite avec la culture ?
Philippe Poirrier : Les relations entre culture et politique sont anciennes en France, et ont participé à la construction du modèle républicain. Dans les années 1930, la thématique de la « défense de la culture » a participé des problématiques antifascistes portées par les partis de gauche, SFIO et PCF. Cependant, c’est essentiellement au cours des années 1970 que les partis politiques se sont approprié ces thématiques, à l’exception du PCF qui avait un discours cohérent sur le sujet dès les années 1950. Mais ce discours était fortement lié à la stratégie et aux vicissitudes du mouvement communiste international. En 1959, la création d’un ministère des Affaires culturelles, confié à André Malraux, n’était pas liée à une position précise du parti gaulliste. Les élections municipales de 1977, puis les présidentielles de 1981, ont contribué fortement à la structuration d’un discours partisan, à gauche comme à droite. Depuis vingt ans, la différence entre gauche et droite est moins nette, notamment à l’échelle des politiques culturelles menées par les collectivités territoriales. Surtout, cette question paraît moins centrale que jadis pour les partis politiques, et les principaux responsables de ces partis. Le temps du militantisme semble révolu et a laissé la place à une gestion, largement dépolitisée, des mondes de l’art et de la culture.
 
Fondamentalement, pensez-vous qu’il existe une politique culturelle de droite et une politique culturelle de gauche ?
Ph. P. : Là encore, la réponse doit être mesurée car un large consensus prime sur la nécessité et les formes de la politique culturelle – à l’exception de l’extrême droite qui affiche une forte propension patrimoniale et un rejet assumé des avant-gardes artistiques. La gauche demeure plus sensible à la volonté de défendre un service public de la culture fondé sur la démocratisation de la culture, un soutien à la création et une régulation des marchés. La droite affiche la volonté de préserver le modèle français de politique culturelle, tout en le réformant, et préconise notamment une meilleure articulation entre la politique publique et les acteurs du marché. Les réformes engagées depuis 2007 masquent mal une volonté de désengagement de l’Etat et une (re)concentration des moyens sur les grands établissements, essentiellement parisiens.
 
« Depuis vingt ans, la différence entre gauche et droite est moins nette, notamment à l’échelle des politiques culturelles menées par les collectivités territoriales. »
 
L’Etat transfère le fonctionnement de la vie culturelle aux collectivités locales tout en orchestrant la réduction de leurs ressources propres. De même le discours récurrent sur l’échec de la démocratisation de la culture a permis de mettre en avant une politique de la demande, véritable « populisme de marché » (Sabine Rozier), aux dépens d’une politique de l’offre. Le double procès de l’inefficacité et de l’élitisme de l’action culturelle publique s’accompagne d’une attention plus soutenue à la dimension économique des biens culturels.
 
Quel regard portez-vous sur les « années Lang » ?
Ph. P. : Les années Lang ont pu apparaître comme une véritable embellie, à la suite d’une politisation des enjeux culturels très nette depuis Mai 1968. Le fort volontarisme ministériel appuyé sur un budget conséquent, le soutien du Président de la République, la synergie avec les politiques culturelles des collectivités locales et la conception plus large du champs culturel ont eu, un temps, des vertus entraînantes. Celles-ci, pour perdurer, exigeaient une croissance budgétaire maintenue alors que les établissements issus des Grands travaux présidentiels réduisaient de plus en plus les marges de manœuvre du ministère.
 
Pensez-vous que dans le futur, notamment lors de la prochaine élection présidentielle, le domaine de la culture puisse devenir un élément de différenciation politique ?
Ph. P. : Les élections présidentielles ne se sont jamais jouées sur des questions de politique culturelle, même si les principaux candidats ont souvent eu à cœur, depuis 1981, d’intégrer la politique culturelle à leur programme, et d’obtenir le soutien des acteurs des mondes de l’art et de la culture. Les acteurs de la vie culturelle – notamment ceux du spectacle vivant – ne manqueront pas d’interpeller les principaux candidats, mais les enjeux économiques et sociaux les plus cruciaux, ceux qui sont au cœur de la vie quotidienne de la grande majorité des Français, risquent d’entraîner une relative marginalisation des questions culturelles. Les principaux candidats potentiels n’affichent guère un intérêt soutenu pour les questions culturelles. Une réelle différenciation peut cependant provenir de la place de l’Etat que les uns et les autres préconiseront  – la politique culturelle, comme les autres politiques publiques, participant de cet enjeu, qui pose en filigrane un modèle de régulation de la société française.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


 

*Philippe Poirrier a notamment publié L’Etat et la culture en France au XXe siècle (Le Livre de Poche, 2009), et dirigé Politiques et pratiques de la culture (La Documentation française, 2010).

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