« DICKLOVE », aussi fluide et puissant que la personne qui le porte au plateau : Juglair

Qui n’a jamais rêvé de s’accepter, d’être en paix avec son corps tel qu’il est fait, avec son genre tel qu’on l’a construit ? La puissance d’acceptation de soi est à la racine du drag, et Juglair s’en approprie les codes dans un spectacle superbement écrit. En partant de son expérience de femme de cirque dont le corps musclé renvoie aux normes du corps masculin, Juglair montre l’arbitraire des représentations genrées et entreprend de les mettre en crise. Avec un talent saisissant, l’artiste joue avec les attitudes : en un instant, sa posture adopte les codes de l’un ou l’autre genre, brouille les repères. Juglair se métamorphose, et met soigneusement en scène sa mue : drag king au maquillage baroque, qui revêt ensuite une robe improbable de princesse kawaii. « Je suis quoi ? Je suis qui ? » demande-t-ielle, king et queen à la fois, freak superbe, tandis que Lucas Barbier, impeccable support musical, chante l’égalité entre « trans, cis, queer, non binaires » et « Elephantman ».

Le gender fuck avec justesse

Les disciplines circassiennes n’ont qu’une importance secondaire ici : elles n’ont d’intérêt qu’en ce qu’elles soulignent l’absurdité des divisions genrées, ici mât chinois associé au masculin distingué du pole dance perçu comme féminin. C’est essentiellement par son jeu – impeccable – que Juglair construit la représentation et le trouble, avec une justesse touchante. S’appuyant aussi sur le chant et sur la danse, l’artiste amène un propos à la fois authentique et savamment distancé à l’aide d’un clown burlesque qui l’aide à bousculer les codes sans agressivité. La chute, intelligente et juste, est à l’image du reste d’un spectacle libre, qui ne raconte l’histoire de Juglair que pour libérer notre histoire à tous et toutes.

Mathieu Dochtermann