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Théâtre contemporain-entretien

Denise Chalem monte « Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute » d’après les chroniques de Kamel Daoud

Denise Chalem monte « Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute » d’après les chroniques de Kamel Daoud - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre Le 13eme Art
Denise Chalem, autrice et metteure en scène DR

Le 13e ART /texte et mise en scène Denise Chalem

Publié le 19 février 2024 - N° 319

La comédienne, autrice et metteure en scène Denise Chalem s’inspire des chroniques politiques du journaliste et écrivain franco-algérien Kamel Daoud pour créer un face à face entre deux hommes que tout oppose, liés par une profonde amitié. Une partition d’une vive intelligence interprétée par Ibrahim Maalouf, Thibault de Montalembert et Sarah-Jane Sauvegrain.

De quelle manière vous êtes-vous emparée des chroniques de Kamel Daoud ? 

Denise Chalem : J’ai souhaité faire entendre la très belle oralité de sa langue, mais j’ai surtout voulu créer une fiction, écrire et construire une pièce de théâtre qui m’appartienne à partir de ses chroniques politiques. Si certaines sont liées à des contextes spécifiques, d’autres particulièrement saisissantes abordent des thématiques plus générales qui me touchent au cœur, comme celle de la liberté empêchée des femmes. Voyageant entre la France et l’Algérie, la pièce met en présence deux hommes très différents, reliés par une amitié profonde malgré leurs désaccords, malgré leurs douleurs radicalement autres. À l’heure où les êtres sont de plus en plus enfermés et définis par leur métier, leur origine, leur genre, leur géographie…, je célèbre une fraternité faite de dissemblances, capable d’empoigner à bras le corps des sujets puissants voire dérangeants qui impactent la vie. J’ai envie que le public puisse les aimer tous deux. Leur confrontation ne délivre aucune leçon, ne brandit pas d’opinion, leur face à face est ancré dans l’expérience du vécu, dans l’avancée combative de l’écriture, dans l’humanité du partage. Ce qui inclut des disputes, des embrassades, de la bouffe, du vin, et beaucoup d’humour…

« Je célèbre une fraternité faite de dissemblances, capable d’empoigner à bras le corps des sujets puissants. »

Qui sont ces deux personnages ?

D.C.: Pierre est un jeune musicien français issu d’un milieu intellectuel vivant dans un appartement exigu à Paris, ce qui l’empêche de jouer de la trompette. Zireg, écrivain algérien au sommet de sa carrière mais contesté dans son pays, l’invite à Mostaganem dans sa maison familiale, qui lui rappelle la solitude de son enfance, tandis que Pierre s’émerveille de jouer en toute liberté sur la plage. C’est le trompettiste mondialement reconnu Ibrahim Maalouf qui interprète Pierre. Le comédien aguerri Thibault de Montalembert incarne Zireg. Leur dialogue politique ou intime laisse émerger des pans d’enfance, des regards aigus sur leur pays, sur leurs difficultés. Pour Zireg, dont le père gendarme l’a obligé à apprendre l’alphabet français, la maîtrise de la langue a constitué un échappatoire contre la pauvreté. Fidèle à l’esprit des chroniques, laissant place au débat, la pièce laisse voir le cheminement  mental  et  obsédant  de  l’écriture en marche. Auprès d’eux, la jeune comédienne Sarah-Jane Sauvegrain donne vie à une femme qui fait siens les mots d’une chronique, une femme qui incarne autant le désir de liberté que les aspirations broyées, qui représente la détresse du corps empêché des femmes.

Le sort réservé aux femmes est-il le fil directeur de la partition ? Comment l’appréhendez-vous ?

D.C.: C’est une grande question qui incontestablement réunit Pierre et Zireg, qui fait écho au souci de l’autre qui les caractérise, aux chroniques engagées de Kamel Daoud. J’ai quant à moi grandi en Égypte, mon imaginaire est empli de la sensualité de mes souvenirs d’enfance, réminiscences d’odeurs, sensations, embrassades et colères… Je me souviens aussi que les femmes ne pouvaient  s’échapper  de la maison  sans  être  conduites  par  un  homme, et qu’elles prenaient le risque de sortir à l’heure de la sieste, en s’inquiétant des mensonges à venir si elles étaient découvertes. Des Monts d’Ihrane au Chablis, d’une rive de la Méditerranée à l’autre, l’humour sauve du désespoir et l’amitié plaide pour la liberté, malgré le désastre et la peur.

Propos recueillis par Agnès Santi

 

A propos de l'événement

Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute
du mardi 27 février 2024 au dimanche 31 mars 2024
Théâtre Le 13eme Art
30, Place d’Italie, 75013 Paris

Tél : 01 48 28 53 53. Durée : 1h30.

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