Démons
Théâtre de Belleville / d’après la pièce de Lars Norén / adaptation et mes Lorraine de Sagazan
Publié le 21 septembre 2015 - N° 236Lorraine de Sagazan s’empare de la pièce-fleuve que Lars Norén consacre à l’enfer du couple. Une adaptation d’une intelligence remarquable, servie par des comédiens surdoués.
A l’origine, la pièce de Norén, vaste et profond bourbier des affects, dans lequel se débattent Frank et Katarina… Pour échapper aux remous du tête-à-tête, ils invitent leurs voisins : d’abord pansements de la crise, Jenna et Thomas finissent en charpie… Chez Norén, la folie est partout présente, et le théâtre lui sert souvent de dérivatif ou de carcan. On sait qu’autrui est le meilleur rempart à nos égarements : le problème devient insoluble quand l’autre en est la cause… Lorraine de Sagazan a choisi de réduire la durée de la pièce initiale et de l’adapter aux conditions de sa mise en scène : Frank devient Antonin, Katarina devient Lucrèce, et les deux comédiens sont sur scène comme dans une performance thérapeutique, jouant de la situation et des conditions de la représentation avec un talent éblouissant. On est chez Lucrèce et Antonin, invité dans leur salon parce que, plutôt de se contenter de convier les voisins, ils ont convoqué tout l’immeuble au spectacle de leurs déchirements, et, mieux encore que dans les soap operas les plus hystériques du sentimentalisme contemporain, on s’y croirait !
Jeunesse virtuose
La capacité d’improvisation dont font preuve Lucrèce Carmignac et l’exceptionnel Antonin Meyer Esquerré est sidérante. Les répliques fusent comme des exocets, les fleurets ne sont pas mouchetés, et les changements de ton et d’adresse ainsi que l’adaptation aux réactions de la salle sont maîtrisés avec une aisance éblouissante. Le public est pris à partie et est placé dans cette pénible situation de captivité affective qui caractérise la compagnie de la névrose, sans que jamais ne soit complètement anéanti le pacte théâtral, évitant ainsi les pièges du happening mélodramatique et vain. On assiste donc à la crise comme on y est parfois contraint dans la vie quotidienne. Les comédiens réussissent le tour de force de donner l’illusion de la vie en maintenant les conditions du théâtre : l’effet est hallucinant ! Mieux encore que les affres du couple, cette proposition élucide brillamment ceux de la folie, établissant l’évidence, souvent douloureuse à admettre, que ses témoins en sont souvent les complices. Si l’intelligence dramaturgique et théorique est patente, la mise en scène et le jeu révèlent, avec ce spectacle, le talent fertile de jeunes gens prometteurs et diablement virtuoses.
Catherine Robert
A propos de l'événement
Démonsdu mardi 15 septembre 2015 au dimanche 22 novembre 2015
Théâtre de Belleville
94 Rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris, France
Le mardi à 21h15 ; du mercredi au samedi à 19h15 ; dimanche à 20h30. Relâches les 11 octobre et 15 novembre. Tél. : 01 48 06 72 34. Durée : 1h20.