La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Démons

Démons - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Rond Point
Frank (Romain Duris) face à Katerina (Marina Foïs). Crédit photo : Giovanni Cittadini Cesi

Théâtre du Rond-Point

Publié le 21 septembre 2015 - N° 236

Après avoir adapté la pièce au cinéma, Marcial Di Fonzo Bo, nouveau directeur du CDN de Caen, met en scène le quatuor infernal de Lars Norén : une plongée incandescente au cœur des relations de couple.

« Je t’aime. Beaucoup. Mais je ne te supporte pas. Vraiment pas. Je ne peux pas te souffrir. Mais je ne peux pas vivre sans toi. » lance Frank d’un éclat de voix coupant à la face de Katarina. Ces deux-là s’aiment, à s’en faire mal, d’un amour dévorant, blessant, déchirant. Ils s’aiment dans la hargne à fines lames, peut-être pour oublier la lassitude d’eux-mêmes et la douce souffrance de l’existence, noyée dans l’ennui alcoolisé du quotidien. La quarantaine bourgeoise, profilée selon le design arty conventionnel, ils épuisent le temps à se tourmenter, se harceler, se briser. A se meurtrir pour ne pas mourir. Ce soir, la tension crame toute retenue. Frank est rentré un sac de cendres à la main : sa mère. Son frère et sa famille doivent arriver d’un instant à l’autre pour les funérailles prévues le lendemain. Sauf qu’ils retardent leur venue, match de foot à la télé oblige. Voilà donc le duo mortifère rejeté à sa solitude vénéneuse… qui s’empresse d’inviter les voisins à venir meubler le vide toxique qui les unit. Tomas et Jenna, jeunes parents, débarquent, avec leur candeur de godichons. Eux, c’est dans le tournis familial et les tracas pécuniaires qu’ils se sont égarés.

Addiction et perdition

Dans cette pièce écrite en 1981, Lars Norén décortique au scalpel les mécanismes de désirs, de manipulation et de projections au sein du couple. Dès lors que la personne réelle s’éclipse sous les fantasmes de l’autre, les inhibitions et les interdits ploient, la violence s’incruste au plus intime. Dans ce jeu de rôles, Frank et Katerina apparaissent tour à tour bourreau et victime, faisant sans cesse virer le regard du spectateur, montrant ainsi la complexité retorse des névroses complémentaires. Ils finissent même par faire exploser les failles du ménage Tomas-Jenny. C’est toute la subtilité de la mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo que de questionner le regard changeant du public sur la situation : monté sur tournette, le décor pivote au gré des rapports de force, modifiant l’angle d’observation et pointant la relativité du point de vue. Tout comme nous, Tomas et Jenny sont les victimes rétives et complices de cette cruelle danse de mort. La partition est portée par un quatuor de haute tenue : Romain Duris (Frank), voyou raffiné aux charmes terriblement corrosifs, qui cherche à entraîner les autres dans sa perdition, Marina Foïs (Katerina), séductrice insaisissable tout aussi redoutable, Stefan Konarske (Tomas), bon garçon asphyxié par le ronron domestique et le refoulement de pulsions homosexuelles, et Anaïs Demoustier (Jenna), mère clouée au foyer qui rêvasse de liberté. Les « démons » de ce huis clos impitoyable n’ont pas fini de nous poursuivre…

Gwénola David

A propos de l'événement

Démons
du vendredi 11 septembre 2015 au dimanche 11 octobre 2015
Théâtre du Rond Point
2 Avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris, France

, à 21h sauf dimanche 15h, relâche lundi. Tél. : 01 44 95 98 21. Puis le 13 octobre, à 20h30, à L’Avant-Scène, Théâtre de Colombes, Parvis des Droits de l'Homme, 88 rue Saint Denis, 92700 Colombes. Tél. : 01 56 05 00 76. Durée : 1h40.

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