La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Delany et Jay Scheib

Delany et Jay Scheib - Critique sortie Théâtre
Légende : Delany et Jay Scheib Copyright : Naomi White

Publié le 10 mars 2011 - N° 187

Une parabole de la ville américaine d’aujourd’hui

Jay Scheib est américain. Son spectacle, Bellona, est l’adaptation d’ un roman culte de la science-fiction outre-atlantique. Une première en France qui s’annonce explosive.

De quoi parle Bellona ?
Jay Scheib : Bellona est basé sur un roman culte de science fiction : Dhalgren de Samuel R.Delany. Bellona est une ville située quelque part aux Etats-Unis, qui a été frappée par un désastre. Les habitants fonctionnent en boucle : ils doivent revivre ou réinventer sans cesse les catastrophes qui ont successivement ravagé la ville. Personne ne se souvient vraiment de ce qui s’est passé. Certains disent qu’un noir a violé une jeune fille blanche et blonde et que des justiciers ont entièrement brûlé la ville. D’autres qu’il y a eu un soulèvement suite à l’assassinat d’un activiste noir (une réminiscence de Martin Luther King). Jusqu’à l’arrivée d’une inconnue. Elle ne se souvient pas de son nom mais elle veut devenir écrivain. Et on ne sait pas si le monde et ses expériences façonnent sa poésie ou si c’est en fait sa poésie qui va déterminer le monde.

Qu’est-ce qui a guidé votre choix ?
J.S : Dhalgren est un ovni dans la littérature américaine. C’est un livre qui traverse les genres et qui est d’une grande profondeur poétique et philosophique. C’est un livre sur l’acte d’écrire de la poésie dans une ville qui tente désespérément de disparaître. Dans sa préface, l’écrivain William Gibson le voit comme une parabole de la ville américaine d’aujourd’hui. Peu de romans réussissent ainsi à sortir les cadavres des placards.

Etait-ce difficile de l’adapter pour la scène ?
J.S : Au début, je voulais faire une adaptation du roman grandeur nature. Je voulais faire un spectacle qui durerait une semaine et transformerait tout l’environnement du théâtre en une nouvelle Bellona. Une vraie Bellona, avec ses Teddy’s bars, ses immeubles en réfection qui partent en flammes. Le prix d’un ticket aurait inclus une chambre d’hôtel pour la semaine, mais les spectateurs pouvaient aussi choisir de dormir dans les parcs. Les enfants auraient suivi des cours à la maison, sur l’urbanisme, la poésie, l’ingénierie électrique, comme dans le roman. Pour moi, Detroit aurait été le lieu idéal. Mais on a fini par compresser cette vision XL en un spectacle de 90 mn. Et la concentration de toute cette énergie est littéralement explosive.

« Les corps restent les technologies les plus complexes »

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
J.S : Faire des choix dans un roman de 800 pages qui ne perd jamais en intérêt. Mais aussi sur des questions technologiques : Delany décrit des gars sauvages qui errent dans les rue habillés en hologrammes de couleur pastel. C’est complètement psychédélique ! Je n’ai pas encore trouvé la solution, mais j’y travaille avec deux étudiants du département en ingénierie du MIT.

Vous avez la réputation de faire un théâtre mêlant musique, multimédias et un grand engagement physique ?
J.S : L’année prochaine, je vais faire un un ballet à Hong Kong avec un chorégraphe chinois à partir d’un documentaire d’Antonioni sur la Révolution Culturelle. Ca devrait être intéressant. Il n’y a rien que j’aime plus que de croiser les disciplines entre elles, c’est vrai. Et je travaille avec  une équipe qui reste souvent la même. C’est très important pour moi d’accumuler les expériences dans notre collaboration. Ces acteurs sont tous incroyablement physiques. Sur scène, pour agir instinctivement, il faut des situations d’urgence. Alors on a fait des improvisations avec une liste de contraintes, qui pour la plupart venaient du roman : perdre une chaussure, marcher sur un bout de verre, boire un litre d’eau cul sec, s’étreindre à six reprises et changer d’habit à toute vitesse tout en disant son monologue ou son dialogue. Pour moi, toute approche d’une œuvre doit être physique. Peu importe la technologie qu’on a sur scène. Les corps restent les technologies les plus complexes.

On dit de vous que vous avez un parcours atypique dans le théâtre américain ?
J.S : C’est un accident. A l’Université, j’étais un étudiant en colère et un professeur – qui m’a aussi fait découvrir Kantor – m’a fait lire le Jet de sang d’Artaud. Il m’a dit : « fais quelque chose là-dessus ». Alors j’ai monté un spectacle avec des artistes locaux et un groupe punk. Avec ce spectacle, j’ai été invité à un festival international en Hongrie et c’est là qu’a débuté ma carrière. Ca m’a ouvert des portes.

Propos recueillis et traduits par Eric Demey


Bellona, destroyer of cities d’après Samuel R.Delany, mise en scène de Jay Scheib. Du 17 au 19 mars, à la MAC, Créteil. Dans le cadre d’Exit. Réservations : 01 45 13 19 19

A propos de l'événement


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