Dans les traces d’Yves Klein, le Ballet de Lorraine crée le magnifique AIR-CONDITION

On se souvient de la superbe version du Relâche des Ballets Suédois remontée par Petter Jacobsson et Thomas Caley – que l’on pourra d’ailleurs revoir le 11 janvier dans la nef du Musée d’Orsay – comme de leur non moins superbe For Four Walls, inspiré d’une pièce du duo Cunningham / Cage qui ne fut performée qu’une seule fois en 1944. Rien d’étonnant alors à ce que les deux chorégraphes aient accepté la proposition d’Emma Lavigne et du Centre Pompidou-Metz de s’emparer du projet de ballet esquissé par Yves Klein en 1954, La Guerre (de la ligne à la couleur). C’est à partir de son scenario incomplet et en plongeant dans le travail du peintre, qu’ils voient comme « une expression de l’irrépressible envie humaine d’aller caresser les cieux », qu’ils ont imaginé leur nouvelle création, AIR-CONDITION.

Des humains dans l’espace

Dans l’écrin de l’Opéra national de Lorraine, la beauté d’une silhouette se dessinant sur un écran blanc, qui appuyée sur une longue ligne traversant de part en part l’espace bouge comme en apesanteur, captive dès le lever du rideau. Puis surgissent une nuée de danseurs et danseuses, qui en vagues et ressacs perpétuels, se jettent dans des roulades tantôt avant tantôt arrière, faisant claquer dans un parfait unisson leur membres sur le sol. Lorsqu’enchaînant les pirouettes et les sauts dans une composition fine et mouvante ils tourbillonnent et volent, le vent semble s’engouffrer sur le plateau et son air emplir nos poumons. Les bras des partenaires suspendent pour un instant l’acmé des bonds, comme le fait la lumière qui saisit dans un flash l’élévation stupéfiante d’un interprète se jetant de la fosse d’orchestre. On pense alors inévitablement à cette image d’Yves Klein, parue le 27 novembre dans le numéro unique de son journal Dimanche et titrée « Un homme dans l’espace ! ». Nourris par l’univers du peintre, de ses œuvres à son excellente pratique du judo, Petter Jacobsson et Thomas Caley signent avec AIR-CONDITION un opus remarquable. La beauté du film et des lumières de Tomás Saraceno – à qui le Palais de Tokyo avait offert en 2018 une carte blanche marquante intitulée ON AIR – et de la musique minimaliste d’Éliane Radigue – proche d’Yves Klein comme son époux Arman– ainsi que l’excellence des vingt-cinq interprètes du Ballet de Lorraine y contribuent assurément.

Delphine Baffour