La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Jazz / Musiques

Daniel Yvinec

Daniel Yvinec - Critique sortie Jazz / Musiques
© Annabelle Tiaffay

Publié le 10 janvier 2011 - N° 184

L’ONJ qui fait du bien à l’ONJ

L’ONJ de Daniel Yvinec, son directeur atistique, a surpris et convaincu dès ses premiers programmes (Billie Holiday, Robert Wyatt, etc) en imposant sa différence : prise de distance avec l’orthodoxie du jazz, mode de pilotage nouveau, mixité artistique de ses musiciens, etc… Pourtant, le nouvel album qui vient de sortir, “Shut Up and Dance”, semble bien être celui qui cristallise véritablement le son et la personnalité d’un authentique groupe de jazz ouvert, arrivé à maturité et fidèle à l’idée que s’en faisait Yvinec en commençant l’aventure il y a moins de deux ans. Le sommet (provisoire?) d’un parcours sans faute.

Shut Up and Dance résume exactement ma démarche de directeur artistique.”
 
 
Vous commencez votre troisième année à la tête de l’ONJ. Cela peut-il être le moment d’un premier bilan?
Daniel Yvinec : Oui, forcément. Mais j’ai tendance à faire des bilans tout le temps… Je suis parti d’un projet particulier puisque je voulais monter un orchestre composé de musiciens qui ne se connaissaient pas et que je ne connaissais pas moi-même. J’ai choisi des musiciens venant de milieux artistique très différents. Mon fantasme était de montrer que l’on pouvait faire cohabiter “sous le même toit” dix personnes très différentes et faire, à partir de cette association, une musique un peu mutante, ouverte, ancrée dans le jazz mais proposant aussi des choses différentes, comme le jazz finalement l’a souvent fait. Faire que le jazz se métisse et s’intéresse à la musique populaire de son époque, à l’électronique, à tout ce qu’il y a de disponible, c’est selon moi s’inscrire dans un prolongement de l’histoire de cette musique. C’est ce que faisaient déjà Charlie Parker ou Dizzy Gillespie lorsqu’ils s’intéressaient à la musique cubaine, ou ce qu’ont fait tous les musiciens de jazz en improvisant sur les «standards » qui étaient des chansons empruntées à la pop de l’époque.
 
Et ce bilan?
D. Y. : Pour moi, tout fonctionne par paliers. En sachant qu’un programme est le miroir ou le prolongement du précédent ou remplit des cases laissées vides par les projets antérieurs. Pour faire ce bilan après quatre programmes montés, je dirais que la mise en orbite a pris un peu de temps, même si je peux affirmer que, dès la première répétition du premier programme, j’ai entendu le son que j’avais en tête. Je ne sais pas très bien l’expliquer mais c’est exactement ce que j’ai ressenti. Ensuite, mon premier souci a été de fédérer les gens. J’avais volontairement choisi des projets qui obligeaient à se réunir autour d’une idée forte. Et j’avais aussi fait le choix de privilégier le collectif sur l’individuel, ce qui était le cas dans le projet “Wyatt” et dans la première version du projet “Billie Holiday”. Le projet “Carmen” qui est venu dans un troisième temps a été particulier puisque j’ai alors donné la plume de compositeur aux musiciens. C’est un programme “à part” qui a un sens artistique très fort pour moi, avec un aspect “dynamique de groupe” très important. Ce programme a été un des premiers paliers qu’on a passés ensemble : chaque musicien dirige la pièce qu’il a écrite en face des neuf autres. Faire entendre sa voix de compositeur représente un investissemnt très particulier.
 
Jusqu’à aujourd’hui et à la présentation de ce quatrième programme et album : “Shut Up and Dance”…
D. Y. : Il représente un moment véritablement décisif puisque j’ai voulu faire se rejoindre l’individuel et le collectif. Il résume tout le travail qu’on a fait depuis un an et demi. Ce nouveau programme remet la personnalité de chacun au centre des débats tout en gardant un esprit de travail collectif extrêmement fort, dans lequel le geste instrumental est vraiment assumé et où chacun a une part de soliste comme dans un concerto.
 
Il apparaît comme le plus spontané de vos projets pour l’ONJ…
D. Y. : C’est celui qui résume exactement ma démarche de directeur artistique et c’est celui qui, comme par hasard, a instantanément fédéré tous les musiciens, qui a totalement transformé l’orchestre. On est sorti de la résidence de création et de la période d’enregistrement de “Shut Up and Dance”avec un orchestre arrivé à maturité. Et les retours venus de l’extérieur vont tous dans ce sens et montrent qu’avec ce projet, tout à coup, on reconnaît l’ONJ comme quelque chose d’unique dans le paysage du jazz français, avec de plus en plus de sollicitations pour aller jouer à l’étanger. Ce qui était aussi un de mes objectifs. En avril, on partira pour une vraie tournée aux Etats-Unis où l’on est perçu comme quelque chose qu’ils n’ont pas “en magasin” là-bas et qui suscite un intérêt. (ndlr : l’ONJ vient aussi de faire ses débuts à Londres)
 
Vous avez inventé un orchestre particulier mais aussi un rôle particulier, le vôtre, puisque vous n’êtes véritablement ni compositeur, ni arrangeur, ni instrumentiste, et cet ONJ, on le sent, est pourtant bien votre orchestre… Votre rôle pourrait-il s’apparenter à celui d’un producteur ?
D. Y. : Oui c’est exactement ça si l’on prend la notion de producteur au sens le plus large qu’on puisse imaginer, au sens américain du terme. Je suis une sorte de directeur artistique permanent de cet orchestre, de metteur en scène, de manager, de fédérateur, de catalyseur… J’ai voulu assumer tout de suite ce rôle comme étant vécu à 100 % en ne jouant pas dans l’orchestre. C’est un choix de raison. Je crois qui si j’étais réalisateur de cinéma, j’aurais beaucoup de mal à jouer dans un film que je réalise… Le recul et l’attention que je recherche représentent des états très particuliers de surconcentration où l’on absorbe et fédère à la fois la musique et l’humain… La “visibilité” de ce travail se retrouve dans ce qu’on écoute. Lors des concerts, je viens sur scène au début pour présenter le concert puis je reviens saluer à la fin ! Entre temps, les musiciens s’autodirigent ! Mon boulot, c’est avant et après le concert. Le moment où l’orchestre est sur scène, c’est autre chose. J’ai formé mon équipe et je reste sur le banc de touche à me ronger les ongles !  
 
Propos recueillis par Jean-Luc Caradec 


 
Concert exceptionnel:
Orchestre National de Jazz + invité́s / programmes : Billie Holiday – Broadway in Satin et Shut Up and Dance. Mardi 25 janvier à 20h30 au Théâtre du Châtelet. Tél. 01 40 28 28 40. Places : 15, 35 et 55 €.
Également le 21 janvier au Théâtre Pôle sud de Strasbourg.

Nouvel album : “Shut up and dance” chez BEE JAZZ / Abeille Musique

A propos de l'événement


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