La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Couteau de nuit

Couteau de nuit - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Jean-Paul Lozouet Légende photo : L’assassin au milieu du prétoire des douleurs.

Publié le 10 novembre 2008

S’inspirant d’un fait divers à l’horreur très ordinaire, Nadia Xerri-L. a écrit et met en scène une fascinante tragédie chorale où la justesse de l’interprétation s’accorde à celle de la langue.

Un jeune homme en a tué un autre. Ils ont passé la soirée ensemble sans se connaître ; ils ont admiré la même fille, sorte d’étrange et trop belle étrangère ; ils ont trop bu, se sont retrouvés sur le trottoir et le couteau est parti, faisant du même coup un assassin et une victime, le geste fatal fixant à jamais le destin de l’un et l’essence de l’autre. Nadia Xerri-L. a trouvé dans Ouest France la matière première de ce drame dont elle compose le récit dans une langue qui poétise l’ordinaire avec un art consommé d’une apparente simplicité porteuse d’une richesse et d’une précision psychologiques étonnantes de justesse. Rétif au naturalisme et au pathos, le texte réussit le tour de force de signifier l’universel tragique contenu dans ce drame prolétaire. Un adolescent trop sanguin, des parents dévoués s’abîmant à la tâche pour offrir le meilleur à leurs enfants, un petit frère adoré qui admire son aîné relégué en maison de correction : tous les indices sociologiques sont là qui expliquent mais pas un seul n’excuse puisque, face à la famille de l’assassin, se tient le frère de la victime qui ne peut pas admettre que le destin lui impose désormais de survivre sans son jumeau.
 
Equilibre entre incarnation et abstraction
 
Les comédiens, tous également précis et justes dans leurs rôles, les interprètent avec la retenue et la dignité qui siéent aux figures tragiques. La mise en scène, les costumes et le jeu se retiennent également de tout misérabilisme, et l’assassin, répétant sans qu’on l’entende vraiment « ce n’est pas mon histoire », a tout d’un Œdipe soumis aux rudes lois d’une nécessité qui le fait être ce qu’il ne peut pas ne pas être. La scénographie, remarquablement éclairée par Manuel Desfeux, dessine un prétoire en amphithéâtre au milieu duquel tous apparaissent également victimes, qu’ils accusent ou défendent, reprochent ou supplient. Sensible sans sensiblerie, vrai sans souci de véracité, abstrait et formel et pourtant terriblement réaliste, le spectacle imaginé par Nadia Xerri-L. réussit remarquablement à tenir le paradoxe de toute représentation : dire les choses hors de leur présence en les faisant apparaître plus vraies que réelles, dans une intensité qui transcende leur authenticité.
 
Catherine Robert


Couteau de nuit, texte et mise en scène de Nadia Xerri-L. Du 5 au 22 novembre 2008. Du mardi au samedi à 20h30 ; le dimanche 16 novembre à 15h ; relâche le 11 novembre. Théâtre de la Ville / Théâtre des Abbesses, 31, rue des Abbesses, 75018 Paris. Réservations au 01 42 74 22 77. Spectacle vu à la Comédie de Reims.

A propos de l'événement


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