La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Critique

Così fan tutte, une expérimentation dramaturgique signée Dmitri Tcherniakov avec des chanteurs quinquagénaires

Così fan tutte, une expérimentation dramaturgique signée Dmitri Tcherniakov avec des chanteurs quinquagénaires - Critique sortie Classique / Opéra Paris Théâtre du Châtelet
Le Così fan tutte mis en scène par Dmitri Tcherniakov, d’Aix au Châtelet. © Monika Rittershaus

Critique
CHÂTELET / OPÉRA

Publié le 19 décembre 2023 - N° 317

Report, comme Wozzeck, de la crise sanitaire, le Cosi fan tutte mis en scène par Tcherniakov transpose la désillusion initiatrice du livret de Da Ponte au sein de couples mûrs, confié à des chanteurs de l’âge des personnages. Cette expérimentation dramaturgique s’effectue sous la direction musicale de Christophe Rousset accompagné de son orchestre Les Talens Lyriques. 

Ses protestations d’admiration pour Cosi fan tutte n’y changent rien : la note d’intention de Dmitri Tcherniakov transpire la résistance à la forme abstraite de cette fable qui porte l’empreinte du Siècle des Lumières. La transposition de l’argument de Da Ponte – avec les partenaires habituels, Elena Zaytseva aux costumes et Gleb Filshtinsky pour les lumières – dans quelque retraite au luxe épuré contemporain pour quinquagénaires qui n’ont aucun problème de fins de mois répond sans nul doute aux supposées injonctions d’identification. Au prix de certains glissements dramaturgiques, la manipulation initiatrice de Don Alfonso devient une mise à l’épreuve de deux conjugalités installées, qui n’en ressortiront pas indemnes. Cette prise de distance par rapport à la lettre du livret met en lumière certains non-dits – l’air de Fiordiligi « Per pietà » face à son amant Guglielmo se fait ainsi confession d’une fragilité inavouable. Mais une telle direction d’acteurs scrutant les soubresauts du tissu psychologique souffre d’une certaine propension à l’hystérie, faisant éclater les tensions intimes au risque de l’excès – l’issue tragique verse dans une actualité de fait divers grand-guignolesque.

Des chanteurs de l’âge des protagonistes

Cette expérimentation laisse également des traces sur la réalisation vocale, avec un plateau composé de chanteurs de l’âge des protagonistes. Conçus pour de jeunes solistes, les rôles changent de couleur avec des gosiers matures. Si l’impact des années n’affecte guère l’homogénéité de la Dorabella campée par Claudia Mahnke, il altère plus sensiblement le caractère tourmenté de la Fiordiligi d’Agneta Eichenholz, dont l’intelligence expressive ne compense pas toujours la perte de souplesse du timbre et de l’émission. Cela s’avère encore plus délicat pour le Ferrando de Rainer Trost, dont le métier ne peut faire oublier les raideurs qui compromettent le legato. Russell Braun s’en tire mieux en Guglielmo, qui, à défaut de la rondeur, a conservé une robustesse qui sait se faire mordante. Si l’on oubliera la palette réduite de Nicole Chevalier, on retiendra les audaces de Georg Nigl qui trahit le chant mozartien de Don Alfonso en un parler-chanter au plus près des mots, quand bien même cela tourne vite au système et tombe dans une préciosité artificielle à rebours de la partition. Après Thomas Hengelbrock au Festival d’Aix-en-Provence, c’est Christophe Rousset avec son orchestre Les Talens Lyriques qui au Châtelet assure la direction musicale de cette proposition.

 

Gilles Charlassier

A propos de l'événement

Così fan tutte
du vendredi 2 février 2024 au jeudi 22 février 2024
Théâtre du Châtelet
Place du Châtelet, 75001 Paris

Les 2, 6, 8, 10, 13, 15, 17, 20 et 22 février à 19h30, dimanche 4 février à 15h. Tél. : 01 40 28 28 40. Durée : 3h30 avec un entracte. Spectacle vu Festival d'Aix-en-Provence.

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