La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien Philipe Jordan

Contrat longue durée

Contrat longue durée - Critique sortie Classique / Opéra Paris Opéra Bastille
photo : Philipe Jordan

CHEF D’ORCHESTRE / OPERA DE PARIS

Publié le 26 novembre 2013 - N° 215

Nommé en 2009, le suisse Philippe Jordan restera directeur musical de l’Opéra de Paris jusqu’en 2021. Le plus jeune chef  jamais nommé à Paris a réussi, en quelques années et à moins de 40 ans, à faire l’unanimité du public, des professionnels et surtout d’un orchestre particulièrement brillant mais aussi réputé difficile à satisfaire.  Un exploit.

« La qualité d’un orchestre d’opéra et de ballet, c’est d’abord la flexibilité. »

Vous avez dirigé des dizaines d’orchestres de très haut niveau, quelle est votre perception de l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Dans les moments où cet orchestre joue à son plus haut niveau, il est l’un des meilleurs orchestres du monde mais à d’autres moments, si le chef ou le répertoire l’ennuie, son image est plus brouillée…

Philippe Jordan : Mais on peut dire ça de presque tous les orchestres ! Je vous dis très franchement que la Philharmonie de Vienne, connue comme l’un des meilleurs orchestres du monde, dans sa mission principale qui est celle d’être l’orchestre de l’Opéra de Vienne où il joue 300 spectacles par an, est bien le meilleur orchestre du monde dans un tiers de ces spectacles mais dans un deuxième tiers est juste « ok » et dans un troisième tiers peut être très décevant faute de répétitions… Et un orchestre qui s’ennuie après avoir joué 35 fois un ballet dont la musique ne serait pas stimulante pour les musiciens, on voit ça un peu partout ! Ce qu’on trouve ici, dans cette maison, c’est d’abord un orchestre lyrique d’opéra et, dans ce domaine, un des meilleurs orchestres  du monde qui supporte toutes les comparaisons. C’est aussi un orchestre « français », peut-être le meilleur du pays, avec toutes les qualités du son français. La qualité d’un orchestre d’opéra et de ballet, c’est d’abord la flexibilité. Et ces musiciens savent être à l’écoute et très flexibles parce qu’ils doivent s’adapter en permanence aux mouvements du plateau, aux danseurs, etc. Parmi les orchestres lyriques que j’ai pu diriger, j’aime aussi cet orchestre parce que l’organisation de l’Opéra de Paris permet de disposer de beaucoup de temps pour répéter, contrairement au système allemand où de nombreuses productions n’ont presque pas de répétitions. Ici, à Paris, on peut faire un travail sérieux. Deuxième chose, j’aime la façon dont nos musiciens s’adaptent au chef qu’ils ont en face d’eux. Par exemple, l’orchestre du Metropolitan Opera de New York, techniquement considéré comme le meilleur orchestre d’opéra, n’est pas un orchestre adaptable. Il a le son « James Levine » mais sonne toujours de la même façon. A la rigueur, les musiciens feront un effort pour Gergiev, mais pas plus. A Covent Garden, c’est le contraire… Ici, à Paris, on a vraiment les deux aspects combinés, avec en plus une transparence du son, une clarté qui correspondent à ce que je cherche dans la musique, et qui permet de ne jamais couvrir les voix.

Vous êtes en poste à l’Opéra de Paris jusqu’en 2021.  Une telle perspective ne donne-t-elle pas le tournis ? Qu’avez-vous à redouter et à attendre de cette longévité ?

Philippe Jordan : Je suis plus intéressé par les relations à long terme que par les aventures courtes. J’ai connu ça souvent au début de ma carrière, pendant quinze ans. Ce qui était important et une bonne chose à ce moment-là pour rencontrer des mentalités, des cultures et des façons de travailler différentes. Mais dans ces cas-là tout dépend de l’alchimie entre le chef et l’orchestre… C’est beaucoup plus gratifiant de travailler sur le long terme. Si je pars par exemple demain pour diriger à Saint-Petersbourg (ce qui n’est jamais arrivé), cet orchestre et moi-même allons nous mettre à répéter une pièce mais en même temps, parallèlement, des deux côtés nous allons aussi devoir passer beaucoup de temps au cours des deux ou trois premières répétitions à découvrir mutuellement comment on fonctionne. Ici, on se connaît. On peut se faire confiance. Je peux commencer les répétions et… ça marche tout de suite! C’est aussi parce que nous avons installé une façon de travailler, façonné un son, défini ce qui nous correspond. S’il y a une bonne entente et un « sens commun », et c’est le cas entre l’orchestre et moi, il faut en profiter ! Les quatre premières années ont été importantes pour établir une façon de travailler et trouver notre style. Maintenant, on a la chance de pouvoir aller plus loin : diversifier le répertoire, aborder des œuvres un peu moins connues ou le répertoire contemporain, enregistrer des disques, faire davantage de tournées…

Il n’y a aucun risque d’ennui entre vous ?

Philippe Jordan : Je n’en ai pas peur mais je suis conscient que ce risque existe toujours.  C’est aussi notre challenge. Il faut toujours rester vigilant. Pour l’orchestre et le public, il faut toujours donner quelque chose de nouveau, surprendre un peu. Ne pas tomber dans la routine, c’est peut-être le plus dur dans notre travail… Rester attentif, rester ouvert à de nouvelles choses  et ne pas être satisfait trop vite. Pour aller plus loin.

 

Propos recueillis par Jean Lukas.

 

Programme : Symphonie n° 2 en ut mineur « Résurrection » de Mahler avec Julia Kleiter (soprano), Michaela Schuster (alto), Orchestre de l’Opéra national de Paris et Choeur de l’Opéra national de Paris (chef du Choeur : Patrick Marie Aubert) et Philippe Jordan (direction).

A propos de l'événement

Philipe Jordan
du lundi 30 décembre 2013 au lundi 30 décembre 2013
Opéra Bastille
120, rue de Lyon, 75012 Paris

Lundi 30 décembre à 20h. Tél. 0 892 89 90 90. Places : 5 à 60 €.
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