Aide-toi le ciel
La compagnie Asphalte reprend le spectacle [...]
Irène Bonnaud met en scène le texte écrit par Violaine Schwartz sur les affres du consumérisme moderne. Valérie Blanchon et Jean-Baptiste Malartre se débattent avec talent dans les oripeaux de la mauvaise conscience.
Quarantaine sémillante, désir de décorer leur nouvel appartement avec des livres rangés dans l’élégance bon marché du confort Ikea : les deux personnages inventés par Violaine Schwartz ressemblent à tous les bobos des centres urbains des capitales européennes. Fringants, intelligents, compréhensifs et tolérants, ils ont toutes les vertus de ceux que la nécessité a épargnés. Ils jouissent des fruits du travail de ceux qui sont exploités très loin de chez eux : la distance atténue les cris de souffrance. La femme rentre de l’hôpital. Elle a eu un accident de voiture. Elle retrouve son compagnon et le logement dans lequel ils ont décidé d’emménager. Mais le train-train quotidien ne reprend pas aussi benoîtement que souhaité. Elle ne parvient pas à surmonter le traumatisme qu’elle a subi ; lui s’acharne en vain à la remettre sur les rails du désir. Car la question posée n’est pas tant de parvenir à reprendre la route, mais plutôt de savoir « comment on freine ? ».
« Mais nous pauvres Canuts, sans drap on nous enterre. »
Le 24 avril 2013, le Rana Plaza s’est effondré sur les ouvrières de Dacca. Plus d’un millier de victimes… Des femmes, jeunes, venues de leurs provinces à la capitale pour fabriquer les vêtements vendus en Occident chez Carrefour et Auchan. Mango, Benetton et Camaïeu : robes pour les unes, linceuls pour les autres… L’annonce de la catastrophe a provoqué l’accident du personnage incarné par Valérie Blanchon. Elle se débat dans les remous du souvenir revenu : c’est en entendant la nouvelle à la radio qu’elle a perdu les pédales et confondu le frein et l’accélérateur. Elle se lance alors dans le tri des cartons qui encombrent le futur nid d’amour. La scène est bientôt recouverte par les masses de jeans, t-shirts, robes et pulls inutiles qui miment les cadavres des ouvrières défuntes. Anusha Cherer, artiste de Bharata Natyam, apparaît alors comme un fantôme, symbole des sacrifiées au capitalisme obèse, qui surconsomme et décuple sa jouissance en multipliant ses achats. Le texte de Violaine Schwartz a l’intelligence de décrire sans asséner de jugements à l’emporte-pièce. Ses deux personnages, comme tous les paisibles Occidentaux aux armoires pleines, ne sont ni particulièrement sympathiques ni franchement odieux. Irène Bonnaud les fait évoluer dans un décor saturé par le textile amoncelé, où se dessinent les tombes anonymes des Canuts bangladais. La mise en scène est fluide, l’interprétation est juste et le texte prête à penser : reste à agir…
Catherine Robert
Mardi et mercredi à 19h30 ; jeudi et vendredi à 20h30 ; samedi à 18h ; dimanche à 16h. Tél. : 48 33 16 16. Durée : 1h50. Spectacle vu au CDN Besançon Franche-Comté.
La compagnie Asphalte reprend le spectacle [...]