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Dans la petite salle de la Scala Paris, au [...]
Un chantier de BTP en Afrique où se croisent des rapports de domination qui enferment les êtres dans leurs solitudes. Comment Koltès résonne-t-il aujourd’hui ? Réponse avec la mise en scène de Mathieu Boisliveau.
C’est le premier texte de Bernard-Marie Koltès que Patrice Chéreau met en scène, en 1983, quatre ans après sa rédaction. Le début d’une longue histoire qui, sous l’impulsion du directeur du Théâtre des Amandiers, fera passer l’auteur du rang d’inconnu à celui d’écrivain majeur. Combat de nègre et de chiens raconte qu’un homme (noir) vient chercher la dépouille de son frère supposément mort accidentellement. Au sein d’un chantier de BTP, enceinte hors-sol hautement protégée par des gardes perchés sur des miradors, le directeur (blanc) vient d’accueillir sa promise (blanche et bien plus jeune que lui). Et l’ingénieur en chef (blanc également, bien sûr), qui cherche son chien, Toubab, confie sans scrupule que la mort de l’ouvrier n’est en fait pas fortuite. Il y a déjà Koltès dans ce texte. Le goût pour les longues tirades, pour les lieux de la marge à la grande puissance poétique, pour la confrontation entre des mondes en lutte et pour cet entrecroisement de solitudes humaines qui ne parviennent pas à se réconforter. Léone, la femme qui débarque dans cet univers masculin et hostile, en fera particulièrement les frais. « Le blanc est enfermé dans sa blancheur / le noir dans sa noirceur » écrivait Frantz Fanon, et rien n’arrête le cours de la tragédie, que Koltès a si brillamment renouvelée.
Les errements d’un monde occidental prédateur
Nous sommes en Afrique mais pourrions être en banlieue parisienne, affirmait l’écrivain. Les rapports de la colonisation s’y jouent cependant, et les errements d’un monde occidental prédateur, sans repères, ni valeurs. Nettement caractérisés, les personnages sont néanmoins complexes et la question des rapports de domination traverse aussi le territoire des relations hommes-femmes. Dans une terre sablonneuse, ocre-brun, Mathieu Boisliveau enracine un spectacle qui donne dans le naturalisme du jeu et de la scénographie, dans un dispositif tri-frontal qui intègre une partie du public à la scène et fait des spectateurs les gardes qui surveillent les personnages. Régulièrement, cependant, le spectacle pose la question de la manière dont ce texte résonne aujourd’hui. Un peu daté, il faut bien le dire. Non pas tant que les enjeux qu’il soulève soient périmés mais parce que les personnages sont marqués par une époque. L’homme africain fermement attaché à la tradition. La femme en quête du bon sauvage. L’ingénieur viriliste désabusé. Le patron à l’humanisme paternaliste. Le jeu nuancé des comédiens fait ressentir toute la complexité de ces modèles pas si dépassés, qui finissent tous par être touchants, empêtrés dans leur enclave. Et la dramaturgie de Koltès, ronde de duos, de dialogues qui ne permettent jamais de s’entendre, tourne, tourne, et travaille leur humanité.
Eric Demey
à 20h. Du 24 au 2 à 20h30. Relâche le dimanche. Durée 2h15. Spectacle vu à la Maison des Arts de Créteil.
Dans la petite salle de la Scala Paris, au [...]
Présenté lors du Festival d’Avignon 2021 avec [...]