“Puisque c’est comme ça je vais faire un opéra toute seule” de Claire Diterzi : vivre la puissance émancipatrice de l’acte de création, quel que soit son genre
Puisque c’est comme ça je vais faire un opéra [...]
La codirectrice du Théâtre des Célestins à Lyon crée Jeux doubles, la première pièce de Cristina Comencini. Une idée de « comédie italienne » qui, des rires aux larmes, éclaire les questions de la nature féminine et de la transmission.
Quelle est, selon vous, la quintessence de la féminité qui se dégage de Jeux doubles ?
Claudia Stavisky : Cette pièce ouvre davantage des champs de réflexions qu’elle n’apporte de réponses précises à la question de la condition féminine. Car il ne s’agit pas du tout d’un projet d’analyse sociopolitique ou d’une profession de foi féministe. A travers la mise en perspective de deux groupes de femmes et de deux époques – quatre mères, au tout début des années 1960, et leurs quatre filles, aujourd’hui -, Cristina Comencini ne parle pas de la féminité comme d’un aléa de la société, mais interroge la consistance réelle, les éléments fondateurs de l’identité des femmes occidentales.
La notion de transmission de mère à fille se situe donc au centre de cette pièce à deux volets…
C. S. : Exactement. La question essentielle est celle de la transmission. Qu’est-ce qui reste de nos mères en nous, qu’est-ce qui constitue cette féminité dont nous héritons : biologiquement, sociologiquement, émotionnellement… ? On ne peut pas éluder les effets de nos atavismes. Jeux doubles parle de tout ça. C’est un regard porté sur les legs et les influences qui se perpétuent de génération en génération, de mères à filles.
A travers quel style, quelle langue, Cristina Comencini présente-t-elle ces huit femmes ?
C. S. : Elle use d’un langage extrêmement quotidien, un langage parlé qui ne comporte aucune velléité littéraire. Jeux doubles est comme une de ces comédies italiennes qui passent perpétuellement des rires aux larmes, mais sans aucune hystérie, à travers une douceur et un apaisement étonnants. Cette pièce fait naître des situations déployant un humour, une ironie et une intelligence que je trouve extraordinaires. D’une certaine façon, elle se rapproche un peu du cinéma. Et par moments, elle atteint un tel hyperréalisme qu’elle s’envole, paradoxalement, vers une forme d’irréel. Car, alors, ces femmes ne se répondent plus les unes aux autres, elles se parlent sans se parler, comme sous l’œil d’un zoom qui révèle l’intérieur de leur esprit.
« Qu’est-ce qui reste de nos mères en nous, qu’est-ce qui constitue cette féminité dont nous héritons ? »
La direction d’acteur s’est-elle imposée comme le principal enjeu de votre travail ?
C. S. : Oui. Ma mise en scène ne révèle aucune grande mécanique spectaculaire. Mon imaginaire a essentiellement travaillé sur les actrices, sur leur jeu, sur le chemin à prendre pour les mener vers une prise en charge de leurs rôles rejoignant l’investissement très particulier dont font souvent preuve les comédiens anglais. J’entends par là un endroit totalement théâtral, fluide, habité de façon très émotionnelle, très intense, mais qui ne laisse aucune trace sur les personnages au fur et à mesure de l’avancement du texte. Comme une eau qui coule, qui passe sans regarder en arrière… D’autant que les quatre actrices (Ndlr : Ana Benito, Marie-Armelle Deguy, Corinne Jaber et Luce Mouchel) doivent jouer deux personnalités, deux corps différents. Bien sûr, cela va bien au-delà d’un changement d’apparence et de costume. Le rapport au corps du début des années 1960 était tout à fait différent de celui d’aujourd’hui, même presque antinomique. Il s’agit donc, pour les comédiennes, d’investir cette contradiction, de parvenir à l’incarner sur scène.
Jeux doubles quittera Les Célestins pour être présentée dans des communautés de communes du département du Rhône. Quel est le cadre de cette itinérance ?
C. S. : Ce programme me tient particulièrement à cœur. Il vise à présenter en milieu rural, à l’aide d’une structure autoportée, exactement le même spectacle que le public lyonnais peut voir dans la grande salle des Célestins. Cela à des conditions tarifaires modestes mais selon des exigences artistiques et techniques identiques. Ainsi, sur une jauge d’environ 400 places, plus de la moitié des spectateurs ne sont généralement jamais allés au théâtre. En dehors de la grande représentation du soir, nous présentons également des petites formes : chez les gens, dans les bistrots, dans les rues… Je veille toujours à ce que nous nous installions dans des endroits qui ne sont pas pourvus de structures théâtrales. Il s’agit vraiment, durant une semaine entière, d’habiter avec les habitants des villages, de participer à leur vie en faisant naître le théâtre là où il n’existe pas.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Jeux doubles, de Cristina Comencini ; mise en scène de Claudia Stavisky. Du 4 au 27 octobre 2007. Du mardi au samedi à 20h00, le dimanche à 16h00. Les Célestins, Théâtre de Lyon, 4, rue Charles-Dullin, 69002 Lyon. Renseignements et réservations au 04 72 77 40 00.
Du 13 au 18 novembre 2007 à Saint Genis L’Argentière ; du 29 novembre au 2 décembre à Amplepuis.
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