Les Inaccoutumés, édition 2020
Vaille que vaille, le festival réinvestit les [...]
De La Parole nochère au Théâtre de La Colline à Embrase-moi à La Scala-Paris, du Tambour de Soie au Théâtre de la Ville à Robot, l’amour éternel au Monfort, Kaori Ito danse en cette rentrée sur tous les plateaux. Pour la création de Chers, qui fait revivre nos disparus, elle s’éclipse pour laisser place à six admirables interprètes.
Habituée aux confessions, chorégraphe de l’intime, celle qui a mis en scène dans une récente trilogie sa relation à son père, son conjoint et son journal de bord de danseuse, se retire cette fois de la scène pour laisser place à la comédienne Delphine Lanson qu’accompagnent cinq magnifiques danseurs. Pour nourrir Chers, qui dans une cérémonie rituelle irriguée par le théâtre nô redonne vie à nos fantômes, toute la troupe a rédigé des lettres à ses disparus. Les témoignages confiés pour La Parole nochère – Kaori Ito a installé au Théâtre de la Colline une cabine pour que les gens y appellent leurs morts – sont venus enrichir ces écrits.
Des esprits facétieux
Sur scène Delphine Lanson, ici bien plus danseuse que comédienne puisque le mouvement sait exprimer ce que les mots ne peuvent pas, joue les chamanes, les maîtresses de cérémonie mortuaire, la vivante qui dans ses souvenirs fait revivre les défunts. Elle dit le manque, l’angoisse, la colère, l’amour, l’espoir d’un avenir qui trouvera l’apaisement. « Tu étais et reste le papa de Margaux », « t’es morte et c’est pas super cool », « ma petite Julie c’est maman », « date de ton envol et de ma chute », « t’es parti en foutant la merde, mais j’aime bien ça la merde, donc merci », « j’ai vu une fille, elle était tellement vivante, elle m’a fait penser à toi ». Êtres d’abord sans vie, les cinq danseurs – Marvin Clech, Jon Debande, Nicolas Garsault, Louis Gillard, et Leonore Zurfluh, tous formidables et épatants de maturité et d’intensité malgré leur jeune âge – s’animent de gestes lents, leurs corps sans muscles gondolant, convulsant, privés de souffle et d’oxygène. Participant au rituel orchestré par une Delphine Lanson puissante, vibrante, ils entament une marche tribale, frappant de leurs pieds le sol et de leurs poings bras et poitrine. Dans des élans virtuoses, ils semblent s’extraire directement de la terre pour s’envoler. Esprits facétieux, comme le sont ceux des morts dans la culture japonaise « qui protègent qui les honore et sèment le chaos là où on les ignore », ils maltraitent la comédienne avec une rare violence, puis font voler en éclat de rire toute tension grâce à des scènes loufoques d’un humour irrésistible. Après un final mené tambour battant dans lequel François Caffenne sature le son tandis que la cadence devient d’une intensité à couper le souffle, on quitte la salle en ressentant que ces Chers nous hanteront pendant longtemps.
Delphine Baffour
Durée : 1h. Spectacle vu au Théâtre Garonne, Toulouse.
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