Lucrèce Borgia
Lucie Berelowitsch coordonne les talents des [...]
Dans une belle distribution, Claudia Stavisky orchestre avec subtilité et intensité la crise qui secoue la famille Pollitt, traversée d’éclats d’humour grinçant.
Mettre en scène Tennessee Williams, c’est un défi : il s’agit de laisser voir, au-delà du portrait d’une certaine Amérique, au-delà du paroxysme des crises familiales, les êtres dans leur souffrance et leur vérité nues, dans leurs terribles combats intérieurs entre des illusions de plus en plus fragiles et des abîmes qui les emportent. En évitant les facilités d’une psychologie facile, d’un tiède réalisme aux allures bourgeoises ou d’une superficialité trompeuse. On s’aventure ici très loin dans « les extrêmes de l’émotion humaine », comme le souligne l’auteur dans ses notes pour le décorateur. Rappel des faits : un soir d’été, la famille Pollitt fête les 65 ans du patriarche dans une belle demeure du delta du Mississippi, l’un des fils, Brick, le préféré, ancien champion sportif, hanté par le suicide de son meilleur ami, s’assomme de whisky et délaisse sa femme, la belle et sensuelle Maggie, qui lutte de toutes ses forces pour sauver son couple, (on se souvient évidemment du duo exceptionnel Paul Newman-Elisabeth Taylor), l’autre fils, marié et père d’une marmaille bruyante, mal aimé, s’intéresse à la succession du domaine. Le père, atteint d’un cancer, va mourir, mais la vérité lui est cachée.
Dégoût de la duplicité
Autodestruction contre pulsion de vie, hypocrisie, matérialisme, oppression, dissimilation, désirs contradictoires… Les tensions s’exacerbent. Claudia Stavisky s’empare de cette œuvre familière, de « l’universalité de la pièce et de ses personnages », structurée autour de la relation entre Brick et Maggie. Dans un décor sobre et moderne, jouant des ambiguïtés et des allers-retours entre intérieur et extérieur, entre illusion de confort et désir incessant et éperdu de fuite, entre bienséance et violence des désirs, elle parvient à orchestrer ce maelström avec subtilité, grâce à une distribution sans faille. Homme meurtri, absent aux autres et à lui-même, dans le dégoût de la « duplicité » qui l’accable, et s’éloignant irrémédiablement du carcan familial, Philippe Awat incarne Brick avec une grande justesse et une élégante présence. Un peu superficielle dans le monologue inaugural, Laure Marsac dans le rôle de Maggie affine son jeu au fil de la pièce, et réussit à insuffler à Maggie ce mélange de force et de fragilité qui la rend si touchante. Le couple de Grand-Papa et Grand-Maman Pollitt, épatant, est interprété par deux immenses acteurs, qui déploient toute la drôlerie grinçante et émouvante de leurs conflits : Alain Pralon et Christiane Cohendy donnent à leur union (et désunion) une éclatante présence. Les excellents Stéphane Olivié-Bisson et Clotilde Mollet interprètent remarquablement le couple du frère et de la mesquine belle-sœur. L’humour acide et grinçant se conjugue à la tristesse infinie des vies abîmées : la mise en scène acérée laisse voir toutes les facettes de ce drame existentiel et social.
Agnès Santi
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