Les Ménines / Las Meninas d’Ernesto Anaya mes Sylvie Mongin-Algan
Sylvie Mongin-Algan poursuit son exploration [...]
Richard Brunel et les siens créent un théâtre choral tout en élégance et subtilité. Eclairant grâce au roman de Julie Otsuka l’histoire méconnue de l’immigration japonaise aux Etats-Unis, ils construisent un monument éphémère contre l’oubli et l’effacement.
« Remplies de désir et de peur ». C’est en effet le cœur étreint de sentiments mêlés qu’au début du vingtième siècle des milliers de jeunes Japonaises franchirent l’océan Pacifique vers l’Amérique à la rencontre de leurs maris, des immigrés japonais venus précédemment. Trompées par des lettres et photos fallacieuses, elles furent dès leur arrivée confrontées à un sort cruel et aliénant. Souvent victimes de viols et d’humiliations, particulièrement vulnérables, prisonnières de conditions de vie éprouvantes. En portant à la scène le beau roman de Julie Otsuka, Américaine d’origine japonaise, Richard Brunel rend visible cette histoire douloureuse et méconnue. Par sa manière limpide et élégante de conjuguer les effets du théâtre, la mise en scène réinvente un présent et une présence contre l’oubli. Comme un archéologue qui façonnerait une trace tangible pour s’élever contre l’effacement, Richard Brunel et les siens fabriquent un théâtre choral, reprenant le « nous » du roman, tout en laissant voir une multitude d’éclats intimes et singuliers, de fragments bouleversants de ces existences brutalisées.
Un théâtre choral et nuancé
Cette communauté de destins traverse diverses étapes, comme celle du relais de générations, avec notamment la naissance d’enfants de nationalité américaine, devenus étrangers à leur culture d’origine, jusqu’à la fin tragique, lorsque l’attaque du Japon contre Pearl Harbor en décembre 1941 déclencha l’internement dans des camps des Japonais alors désignés comme ennemis de l’intérieur. Eux et elles disparurent du paysage. Onze comédiennes et comédiens d’origines diverses – Mélanie Bourgeois, Youjin Choi, Yuika Hokama, Ely Penh, Linh-Dan Pham, Chloé Réjon, Alyzée Soudet, Kyoko Takenaka, Haïni Wang, Simon Alopé, Mike Nguyen – occupent le plateau et incarnent les protagonistes avec sobriété, délicatesse et justesse, puis laissent place dans la dernière partie à la voix de l’Amérique, celle de Natalie Dessay, qui interroge le vide de l’absence. Le théâtre se noue entre le passé et le présent, le concret et l’indicible, l’extérieur et l’intérieur, pour rendre justice à ces courageuses oubliées de l’Histoire. « L’accès au visage est d’emblée éthique. » disait Emmanuel Lévinas, en défense de la fragilité des êtres. C’est ce à quoi nous invite cette pièce, bien loin des vociférations du moment.
Agnès Santi
du lundi au vendredi à 20h sauf le jeudi à 19h, le samedi à 18h, dimanche à 16h. Relâche le mercredi. Tél : 01 43 90 11 11. Durée : 2h. Spectacle vu en juillet 2018 lors du Festival d’Avignon.
Sylvie Mongin-Algan poursuit son exploration [...]