La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Casimir et Caroline

Casimir et Caroline - Critique sortie Théâtre
© Phile Deprez Légende photo : Des comédiens bouleversants tiraillés entre des impératifs contraires, économiques, sociaux et personnels.

Publié le 10 septembre 2009

La mise en scène du hollandais Johan Simons convainc grâce à un jeu d’acteurs bouleversant qui ouvre l’imaginaire. Pour démasquer tendrement et ironiquement à la fois l’aventure d’une humanité en crise, empêtrée et pourtant avide de vivre.

Au soir de la première au festival d’Avignon, beaucoup de spectateurs ont été déçus. C’est donc sans a priori positif que nous sommes allés voir la mise en scène de Johan Simons du NTGent (Gand), associé au directeur musical Paul Koek de la Veenfabriek. Or le spectacle nous a enchantés par sa délicatesse, sa sensibilité et le jeu bouleversant des comédiens. Ce que l’on y voit, c’est l’errance combative et poignante d’êtres humains tentant d’envisager leur avenir mais emportés dans le tourbillon de la fête foraine, de la crise, d’amours et de rêves frelatés, d’un monde gangrené par le chômage, le pouvoir de l’argent et les différences de classe. Il s’agit d’une description sur scène d’un microcosme humain à la dérive. Et ce n’est pas si mal d’arriver à montrer ça ! La langue d’Horvath, jamais triviale ni banale, mais percutante et profonde, laisse poindre une inquiétude permanente et l’idée de danger, que les hommes et les femmes tentent de gérer comme ils peuvent. Ecrite en 1931, cette « pièce populaire » a pour cadre la Fête de la Bière à Münich, peuplée de monstres de foire. La scénographie de Bert Neumann, vaste échafaudage propice aux apparitions et disparitions des personnages, aux égarements, aux échappées et aux volte-face, entre zeppelin miroitant et constellations romantiques, est d’une évidente pertinence dramaturgique.

Désirs diffus, corrompus ou brisés

ENJOY : les lettres clinquantes et géantes brillent ironiquement de tous leurs feux pour inviter à s’amuser et sur scène, un orchestre aux musiciens déguisés comme des clowns pathétiques joue la partition moderne de Paul Koek, qui résonne en flux quasi continu, une liberté par rapport à la pièce, et pas forcément l’élément le plus probant de la mise en scène. Cette « tragédie douce et dérisoire » est atténuée par l’émergence éventuelle du sentiment d’amour, comme le rappelle la fin de la pièce et l’épigraphe « Jamais l’amour ne s’arrêtera », bien sûr teintée d’ironie mais tout de même à prendre avec un certain sérieux… La sphère privée est-elle ou non un espace de liberté ? La question taraude le couple Casimir et Caroline (Wim Opbrouck et Els Dottermans). Elle Marilyn de pacotille à la furieuse envie de vivre mieux et lui plus lucide et peu impressionné par les paillettes. Il vient de perdre son emploi de chauffeur et craint que sa fiancée ne le quitte. Un autre couple vacille : celui du voyou nerveux et brutal Merkl Franz et d’Erna, sensible jeune femme (Kristof Van Boven et Yonina Spijker). La rencontre entre Caroline et le tailleur-coupeur Schürzinger ( Oscar von Rompay), qui parle « de l’âme » et s’efforce de mettre en mots leur condition, atteint ici une dimension poétique extrêmement touchante qui rappelle avec éclat et simplicité à quel point au théâtre la puissance du jeu peut frapper l’imagination – la scène du ballon est à cet égard une réussite merveilleuse de poésie. Grâce à la remarquable interprétation des comédiens, bouleversants, la pièce allie émotion et intelligence, mettant en lumière les désirs diffus, corrompus ou brisés d’une humanité empêtrée. Les comédiens jouent en français avec un léger accent (en parfaite adéquation avec l’univers de la pièce), et la langue est d’une impeccable fluidité. Bref, on réfléchit mais on n’arrive vraiment pas à ne pas aimer (beaucoup !!) cette pièce…

Agnès Santi


Casimir et Caroline d’Odon von Horvath, mise en scène Johan Simons et Paul Koek, du 2 au 7 octobre à 20H30, dimanche à 16H, relâche lundi, au Théâtre des Amandiers à Nanterre. Tél : 01 46 14 70 00. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2009.

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