La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Caramba !

Caramba ! - Critique sortie Théâtre Calais Théâtre municipal de Calais
Crédit photo : Frédéric Iovino Légende photo : Olivia Burton et Thierry Roisin explorent le dit de la vieillesse.

Tournée en France / conception Olivia Burton et Thierry Roisin / mes Thierry Roisin

Publié le 25 janvier 2013 - N° 206

Thierry Roisin met en scène le « laboratoire poétique et social » qu’il a conçu avec Olivia Burton : une passionnante exploration du dit de la vieillesse, à la fois intelligente et belle, drôle et profonde.

« La ride véloce, la pesante graisse, le menton triplé, le muscle avachi », chante l’insolente Gréco pour rappeler aux fillettes l’urgence de cueillir « les roses de la vie ». Notre époque, qui transforme les barbons en seniors, les conserve dans le formol illusoire d’une jeunesse et d’une séduction prolongées, ou évacue le discours sur la décrépitude en remisant « l’être-pour-la-mort » dans le retrait silencieux des maisons de retraite. On soulage l’angoisse en croyant combattre les effets de l’âge ou en enfermant ceux que celui-ci a définitivement flétris dans les limbes médicalisés. En choisissant de réunir sur scène une troupe d’acteurs entre cinquante et quatre-vingts ans, Olivia Burton et Thierry Roisin montrent d’emblée ce qu’on ne veut pas voir. Goguenards, malicieux, lucides et décomplexés, les huit interprètes ouvrent la pièce avec la litanie des paroles dites ou interdites aux vieillards. La liste est à la fois drôle et terrifiante : protocole de la politesse compassionnelle (entre col du fémur et cholestérol), héritage réservé des meubles et des bijoux, interrogations gênées sur la sexualité et les affres de la ménopause, mépris de l’incompétence informatique et de la passion désuète pour le Scrabble et les collections de timbres. Ce premier inventaire, asséné par cet aréopage conscient de sa relégation, illustre avec une redoutable efficacité l’infantilisation dont sont victimes ceux dont on croit l’entendement aussi ralenti que leurs gestes.

Mots et machines sensibles

Mais Caramba ! est aussi un cri de colère, d’impatience et d’indignation, et la deuxième partie du spectacle rappelle avec force que l’âge du vouloir ne se limite pas à celui des possibles. Lorsqu’Isabel Juanpera entonne, de dos et a cappella, L’Estaca, symbole de la lutte catalane contre l’oppression franquiste, lorsque Jean-Michel Lacherie dit l’extrait de la Lettre à D., sublime déclaration de l’amour continué et sans cesse renouvelé d’André Gorz pour sa femme, on frémit d’émotion. La violence de la passion, politique ou amoureuse, transcende alors la violence première du spectacle des corps défaits, et le corset des convictions les redresse : comme l’affirmait l’antique hylémorphisme, l’âme est la forme du corps ! Dans cette deuxième partie, descendent des cintres les portraits de jeunesse des comédiens en scène. L’œil se surprend au va-et-vient inquisitorial, pendant que les acteurs égrènent leurs monologues, rappelant avec force que la vie ne tient pas seulement à une image et que l’existence est riche du récit qu’on peut en faire. C’est alors, en dernier tableau du triptyque, que la parole est rendue aux corps. Sur la diagonale de la scène, se met en place un curieux défilé, entre chemin de croix, procession, promenade dominicale, parabole des aveugles à la Bruegel ou métaphore de l’avancée vers la mort, où les comédiens adoptent poses et postures, des plus banales au plus farfelues, jouant des vêtements comme des déguisements, ou prenant le risque de la mise à nu. Cette dernière partie, chorégraphique et poétique, restaure la puissance évocatrice des corps et des âges, défaisant définitivement les a priori intellectuels et les habitudes spectaculaires. Le théâtre devient ainsi, mieux que le lieu d’interrogation du sens de l’existence, le moyen de la considérer autrement.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Caramba !
du samedi 13 avril 2013 au samedi 13 avril 2013
Théâtre municipal de Calais
Place Albert 1er 62100 Calais

En tournée en 2013 et 2014, dont, le 13 avril à 20h30, au Théâtre municipal de Calais, et le 17 mai à 20h30, à la scène du Louvre-Lens. Renseignements sur www.comediedebethune.org Spectacle vu à la Comédie de Béthune. Durée : 1h40.
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