La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Cannes Trente-neuf / quatre-vingt-dix, écrit et mis en scène par Etienne Gaudillère

Cannes Trente-neuf / quatre-vingt-dix, écrit et mis en scène par Etienne Gaudillère - Critique sortie Théâtre Malakoff Théâtre 71
© Joran Juvin Cannes Trente-neuf / quatre-vingt-dix

texte et mes Etienne Gaudillère

Publié le 19 décembre 2019 - N° 283

Etienne Gaudillère et la jeune compagnie Y créent un récit théâtral captivant qui explore les conditions de la naissance du Festival de Cannes et son évolution. Une réussite.

Après Pale Blue Dot, une histoire de Wikileaks, créé en 2018 au Festival d’Avignon (intéressant, mais touffu et fragmentaire), Etienne Gaudillère et les siens réussissent avec cet opus créé à Sète le jour même de l’ouverture du Festival de Cannes 2019 un pari difficile. Celui de faire théâtre en éclairant la genèse du Festival de Cannes et son évolution, et par là même les multiples interférences entre les champs artistique et politique qui jalonnent son histoire tumultueuse. Depuis ce jour d’automne 1938 où Jean Zay et Philippe Erlanger décident de créer un festival des nations libres en France, pour contrer la Mostra de Venise qui couronne Les Dieux du Stade de Leni Riefenstahl. En passant par l’année 1960 où Simenon a convaincu un jury réticent d’octroyer la Palme d’Or au film « crypto-cochon » La Dolce Vita. Face au mythe écrasant et au phénoménal foisonnement d’événements, Etienne Gaudillère a su dompter le monstre. Il a choisi une chronologie subjective permettant de structurer la partition et de mettre en forme un spectacle lisible, quoiqu’ouvert à une multiplicité de points de vue et de contrastes dans la narration même. Un prologue met en scène Jean Zay et Philippe Erlanger, qui s’opposent au ministre Georges Bonnet, fervent partisan des accords de Munich. Après le coup d’arrêt de la Seconde Guerre mondiale, les enjeux de la Guerre Froide s’invitent au festival, et s’exacerbent autour d’une photo qui fit scandale. Fiction et réalité se télescopent en un feuilleton palpitant et dramatique. Puis, un peu à la manière de Christophe Honoré dans Nouveau Roman, le récit revisite avec fantaisie l’émergence des jeunes artistes de la Nouvelle Vague, fortes personnalités alors unies dans les locaux des Cahiers du Cinéma : François Truffaut, Jean-Luc Godard, Eric Rohmer, Jacques Rivette, Claude Chabrol, Agnès Varda et Jacques Demy aussi, dont la rencontre laisse émerger un très beau moment suspendu qui rend les mots inutiles.

Une traversée captivante

Après les révoltes de Mai 68, place à l’année 1975, qui accorde la Palme d’Or à la fresque algérienne Chroniques des années de braise. Puis à la palme accordée au tout jeune Steven Soderbergh pour Sexe, Mensonges et Vidéo (1989), beau film porté par un producteur débutant, Harvey Weinstein. Les comédiens sont formidables : Marion Aeschlimann, Clémentine Allain, Anne de Boissy, Étienne Gaudillère, Fabien Grenon, Pier Lamandé, Nicolas Hardy, Loïc Rescanière, Jean-Philippe Salério et Arthur Vandepoel interprètent divers personnages avec un talent sûr. Par touches successives paraissent les mues et les crises du festival, qui a pu affirmer son indépendance artistique, s’est débarrassé de la censure, alors que l’industrie culturelle consolide sa puissance. Au fil des tableaux et des atmosphères, de la veine burlesque aux moments de gravité, l’auteur et  metteur en scène évite les écueils du didactisme et de la reconstitution, et crée un puzzle captivant où s’imbriquent situations imaginées et faits avérés. Un puzzle profondément vivant, où les relations entre art et politique, bien que contextualisées, font résonner avec acuité des enjeux qui traversent les époques. Avec humour et inventivité, la partition opère des compressions, des raccourcis, des accélérations, en jouant de tous les artifices du théâtre, sans jamais avoir recours à des images de films. Si quelques épisodes pourraient être resserrés dans les dernières parties, la réussite du spectacle se mesure à travers les tensions qui fragilisent l’utopie initiale, mais aussi à travers son rapport au temps et à la mémoire, et son attention au-delà du langage à l’humanité des personnages. La scène finale est poignante.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Cannes Trente-neuf / quatre-vingt-dix, écrit et mis en scène par Etienne Gaudillère
du mercredi 8 janvier 2020 au jeudi 16 janvier 2020
Théâtre 71
3 place du 11 Novembre, 92240 Malakoff

à 19h30 sauf mardi et vendredi à 20h30, dimanche à 16h, relâche lundi. Tél : 01 55 48 91 00. Théâtre Firmin Gémier, Châtenay-Malabry, le 18 janvier à 20h et le 19 à 16h.  Tél : 01 41 87 20 84. Durée : 2h15. Spectacle vu Théâtre Molière-Sète, scène nationale archipel de Thau.

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