Chewing gum Silence Antonin Tri Hoang, mise en scène de Samuel Achache
Compositeur multi-instrumentiste, Antonin Tri [...]
Comme tout Castorf, il ne ressemble à aucun autre ce Bajazet, foire théâtrale noire et chaotique qui se laisse déborder par ses excès.
Il y aura du scandale et de l’enthousiasme. Il y aura ceux qui quitteront la salle à l’entracte, – ou avant – et ceux qui exulteront aux applaudissements. Frank Castorf, l’iconoclaste metteur en scène allemand, est de retour avec un spectacle hors normes qui croise Racine et Artaud, Bajazet et Le Théâtre et la Peste, entre autres textes pour ce dernier. On se méfie un peu de l’aura d’insurgé qui entoure Castorf, marginal autoproclamé au cœur de l’institution. Tout autant que des spectacles se réclamant d’Artaud. Drôle de postérité pour cet auteur, acteur, metteur en scène, poète schizophrène, qui aura surtout fait du théâtre en théorie, dont la volonté de retrouver la puissance primaire d’un art qui aurait tourné le dos à ses pulsions est devenue mythique. De Racine, Artaud appréciait qu’il ait conservé « un côté de légende et de surnature ». Castorf explique que Bajazet est une tragédie à part, une tragédie sans fatum ni dieux, où les personnages hésitent sans cesse sur les choix à faire et tracent leur chemin entre leurs déchirements intérieurs.
Les acteurs, ces exclus de la horde
Une petite révision préalable de l’intrigue ne sera pas superflue car cette version – c’est le moins qu’on puisse dire – ne tire pas le texte vers la clarté. Elle préfère le retourner comme un gant, le faire sortir par les yeux, la bouche et tout le corps de l’acteur, le laisser transpirer des pulsions et passions qui l’habitent. Dans ces conditions, il faut accepter de perdre pied, de traverser quelques vociférations qui flirtent avec le ridicule, de ne pas s’offusquer devant un crachat ou un trou du cul. Une immense tête de sultan de fête foraine, une cage en fer pour fauves pestiférés, une tente sérail version burqa et une arrière-cuisine miteuse composent l’hétéroclite scénographie de ce Bajazet. Dans cet ici d’ailleurs, les acteurs conduits par Castorf redeviennent ces « monstres » que désignait Jean Duvignaud, ces « exclus de la horde » médiateurs d’une violence et d’une liberté qu’ils vont parfois chercher dans les transes, dont on se demande parfois comment ils vont pouvoir se relever. Jeanne Balibar surtout, terriblement mise à contribution, dont les afféteries vocales sont ici sublimées, qui se donne corps et âme à son personnage de Roxane. Avec elle, également puissants au plateau et pantins affolés à la caméra qui les suit de près dans les lieux cachés, Jean-Damien Barbin, Claire Sermonne, Mounir Margoum et Adama Diop passent de la rage à l’ironie, du délire au clin d’œil, dans une folle dialectique qui leur fait brûler les mêmes textes que parfois ils renvoient à distance. Car tout cela n’est que divertissement pascalien, comme le signifie Castorf, miroir des hommes et des femmes qui s’affolent de rien pour oublier que la mort approche. Le sultan Amurat, cause première de tous ces désordres, d’ailleurs jamais n’apparaît.
Eric Demey
à 19h, le vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h. En raison des grêves, la représentation du 5 décembre a été avancée au 4. Tel : 01 41 60 72 60. Spectacle vu au Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence. Durée : 3h50 environ entracte compris.
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Avec une époustouflante Christina Bianco, [...]