Danse contemporaine - Critique
« Austerlitz », l’époustouflante traversée de Gaëlle Bourges
Théâtre Public de Montreuil/ Tournée/Chorégraphie Gaëlle Bourges
Publié le 20 janvier 2023 - N° 317
Époustouflante traversée que nous propose Gaëlle Bourges ! Un siècle, pour une voix, quelques photos et sept corps… Les récits se mêlent sans jamais oublier le spectateur, qui contemple une fresque poreuse à sa propre histoire.
Ne nous y trompons pas : si la gare d’Austerlitz est présente à plusieurs reprises dans le texte livré en voix off par Gaëlle Bourges, c’est clairement une fausse piste si l’on veut expliquer le mystérieux titre de cette création. Il faut, et la chorégraphe s’en expliquera plus tard, se référer au livre du même nom de W. G. Sebald, jalonné lui aussi de photos. Un ouvrage très inspirant ici, à la fois par sa structure et son procédé narratif, et par la période qu’il traverse. Pour cette pièce, Gaëlle Bourges a en effet laissé de côté quelques habitudes de travail : il n’y a pas une œuvre – ou un thème – de l’histoire de l’Art qui préside à la création, et qu’il faut décortiquer, commenter, incarner… C’est une simple photo en noir et blanc de l’artiste, tirée d’un vieil album familial, qui ouvre la représentation : le « gala de danse en pyjama », acte sans doute fondateur pour la chorégraphe, devient le prétexte à un incroyable voyage à travers la vie des interprètes depuis leurs premiers pas d’enfant dans la danse ou de jeune fan de rock dans la musique, jusqu’à leurs liens invisibles à une histoire qui les dépasse, et qui est celle de notre siècle. La composition tient justement dans ce tissage formé d’allers-retours entre les histoires personnelles et la grande Histoire, à travers des rencontres fortuites, des coïncidences bienvenues, des correspondances inattendues… Par effet de collage, de sérendipité, d’associations (d’apparence) hasardeuses, une forme de puzzle se reconstitue et nous offre un regard singulier sur un monde – le nôtre.
Itinéraire des enfants du siècle
La voix est monocorde ; le noir est poudré ; les pas sont feutrés ; l’ombre des nuages obscurcit le sol. Dans Austerlitz, l’atmosphère est contenue et contribue à bercer le spectateur dans ce cheminement qui casse les codes : les faits nous sont délivrés dans leur plus grande simplicité sans effet visuel ou spectaculaire, dans une logique qui nous échappe. Et pourtant, Gaëlle Bourges réussit le tour de force de parler de fausse couche, de viol, de l’histoire de la danse avec Steve Paxton, Loïe Fuller ou Nijinski, de Johnny Depp, d’un cirque tzigane… Finalement, il n’y a pas d’aléatoire dans ce qui se produit sous nos yeux : impossible d’échapper à l’histoire coloniale, aux guerres, à Auschwitz, à Terezin… Impossible de ne pas retrouver un petit bout de soi dans ces personnages pourtant incarnés avec distance, mais qui, de lien en lien, donnent corps aux revenants. Tous ces enfants du siècle – anonymes ascendants de ces artistes venus de banlieue parisienne ou de villes de province, ou fameux héros d’une histoire culturelle et artistique passée – viennent ici « réclamer leur dû aux grands ». Parfois glaçant, mais assurément beau et profondément touchant.
Nathalie Yokel
A propos de l'événement
Austerlitzdu jeudi 18 janvier 2024 au mercredi 31 janvier 2024
Théâtre Public de Montreuil
10 Place Jean-Jaurès, 93100 Montreuil.
du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h, relâche les dimanches et lundis. Tél : 01 48 70 48 90. Durée : 1h45. Spectacle vu au Théâtre de l’Onde à Vélizy-Villacoublay dans le cadre du festival Immersion Danse.
Et aussi les 13 et 14 février 2024 à la Maison de la Culture d’Amiens, le 1er mars 2024 au Théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur-Seine, du 5 au 7 mars 2024 au Théâtre de la Vignette de Montpellier.