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Saynètes cinglantes et chantées de Monsieur [...]
Avignon / 2015 - Entretien Tiago Rodrigues
Antoine et Cléopâtre… Ces deux noms brillent au firmament de la passion qui s’abîme sur les brisants de la politique. L’auteur et metteur en scène portugais Tiago Rodrigues livre sa version : un duo taillé à même la personnalité des interprètes, qui fait résonner la tragédie au cœur du présent.
Dans By heart, présenté en France cette saison, vous ameniez le spectateur à partager l’expérience de ce qu’est apprendre un texte par cœur. La mémoire des œuvres vous habite-t-elle ?
Tiago Rodrigues : Les mots sont au centre de ma vie. L’écriture et la lecture m’ont construit en tant que personne et artiste. J’ai découvert à l’adolescence qu’écrire pouvait être ma façon de participer au monde, d’être avec les autres. Dans les livres, j’ai trouvé des compagnons qui partageaient mes questions, mes émotions, qui me soutenaient dans mon existence. Des auteurs ont écrit avec génie ce que je ressentais, ce que j’aurais voulu exprimer ! La mémoire des œuvres me traverse au quotidien, dans mon métier de metteur en scène et de comédien. Travailler sur le répertoire, c’est chercher à mettre au présent non seulement la pièce mais aussi sa mémoire, et s’interroger sur celle qu’on veut inventer. Le comédien doit aussi s’approprier les mots, il les mange, les digère pour les faire siens.
Pourquoi alors créer « votre » Antoine et Cléopâtre plutôt que de mettre en scène la pièce de Shakespeare ?
T. R. : J’appréhende le théâtre comme un prolongement de la lecture, qui prend corps par la mise en scène, le jeu des comédiens mais aussi l’écriture. En fait, je lis en écrivant ! Shakespeare s’inscrit d’ailleurs dans une tradition de réécriture et s’inspire de Plutarque, lui-même héritier de divers écrits et récits de tradition orale. La tragédie d’Antoine et Cléopâtre m’intéresse depuis longtemps et résonne avec une troublante acuité. Elle superpose deux discours, l’un politique, public, historique, l’autre intime, amoureux, tragique, qui sont toujours en jeu. Antoine et Cléopâtre vivent en représentation permanente. Ils jouent leur rôle. A travers eux s’affrontent deux mondes : l’Orient et l’Occident, mais aussi le sentiment et la raison, l’hédonisme et le travail, le féminin et le masculin, la guerre et l’amour… Cette dichotomie rappelle le théâtre, comme moment où se joignent l’intime et le collectif, dans le propos comme dans l’expérience du spectateur.
Comment avez-vous conçu votre version ?
T. R. : Le processus d’écriture part de matériaux textuels que je propose et se nourrit des échanges avec l’équipe de création. Le texte prend forme au fur et mesure que les comédiens l’expérimente sur le plateau et continue d’évoluer durant les répétitions. J’écris pour et avec eux. Ici j’ai intégré le langage propre de Sofia Diaz et Vitor Roriz qui condensent la pièce en un duo. Nous avons lu ensemble à voix haute, discuté avec un traducteur et des spécialistes de Shakespeare, souligné ce qui résonne pour nous, ce qui nous touche, dans le fond et dans la forme : des phrases, des images, des idées, la construction très cinématographique, les défis posés à la mise en scène… Plus que le dénouement tragique, connu de tous, nous nous sommes attachés au cheminement qui mène à cette issue. Notre version se compose d’une suite d’événements, d’actions, de citations… Elle se rapproche d’une forme lyrique de par le rythme de l’oralité qui s’y déploie.
Les deux interprètes sont danseurs chorégraphes. Qu’apporte leur langage corporel ?
T. R. : Moins rivés à la tradition du texte que souvent les comédiens, Sofia Diaz et Vitor Roriz développent une gestuelle qui porte un discours parallèle et sème un trouble. Ils donnent corps au réel… sans réalisme.
Entretien réalisé par Gwénola David
A 18h, relâche le 16. Festival d’Avignon.
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