Anne Théron met en scène L’Argent de Christophe Tarkos
La Ferme du Buisson
De Christophe Tarkos / mes Anne Théron
Publié le 1 octobre 2012 - N° 202
Poète à la fois mythique et peu connu du grand public, mort en 2004 d’une tumeur au cerveau, Christophe Tarkos a écrit un long éloge paradoxal de l’argent, “valeur sublime“ de notre société, qu’Anne Théron a créé sous forme de concert-performance déambulatoire et numérique à la Gaîté lyrique.
Anne Théron est une dévoreuse de livres. Son amour de la littérature, elle le porte au théâtre via la mise en scène de textes souvent ardus. La Religieuse de Diderot ou Jackie d’Elfride Jellinek lors des saisons passées. Et maintenant L’Argent, long poème proliférant de Christophe Tarkos qu’elle a eu la bonne idée de confier sur scène à Stanislas Nordey. « C’est pour la paye qu’on est capable de tout », « Il n’y a pas de fonctionnement cérébral qui ne soit tributaire de la valeur de l’argent », « Quand la valeur dit cela t’a rapporté c’était une bonne chose si cela t’a fait perdre de l’argent cela n’était pas une bonne chose ». Voici quelques échantillons des assertions d’un texte qui procède par phrases syncopées, s’entrechoquant et se chevauchant dans un mimétisme parfait avec le sujet : comme les mots se répandent à l’infini, l’argent s’infiltre partout, imprègne, conditionne, noie, submerge, jusqu’à devenir « enveloppant ». Il est bien devenu aujourd’hui l’alpha et l’oméga de toutes nos actions.
La poésie est autant rythme et musique que sens
Comme le souligne Nordey, ce texte est plus malicieux que militant. Il le porte d’ailleurs avec un plaisir non dissimulé, avec une joie facétieuse à dire cette poésie qui procède par approfondissements successifs, par boucles répétitives, dans une construction musicale où l’infime variation fait sens, et dans une accumulation logorrhéique que les nombreuses fulgurances du texte et l’intelligence de son jeu parviennent à rendre continument signifiante. Avec lui, sur une estrade en gazon synthétique, verte comme le dollar, la danseuse d’origine japonaise Akiko Hasegawa incarne un peu schématiquement la tradition quiète qui échappe au flot de l’argent, mais dit aussi avec une jolie dérision quelques extraits du texte en japonais, rappelant au passage que la poésie est autant rythme et musique que sens. Et la musique justement, majoritairement rock et techno, accompagne efficacement les variations, les changements d’atmosphère que Nordey imprime au texte de Tarkos, qui en sort ainsi grandi, intelligible et drôle, hypnotique et ensevelissant, à découvrir nécessairement. Simple bémol, le travail numérique de Christian Van der Borght, projeté aux murs, paraît un peu illustratif. A travers des diagrammes, histogrammes, courbes en mouvement et autres points grossissants, il donne à voir le flux continu de ces énormes mouvements financiers qui constituent malheureusement les cellules vivantes du monde d’aujourd’hui.
Eric Demey
A propos de l'événement
du samedi 20 octobre 2012 au vendredi 30 novembre 2012La Ferme du Buisson
Allée de la Ferme, 77448 Noisiel