Anne Monfort met en scène Nostalgie 2175 d’Anja Hilling
En tournée / Texte Anja Hilling / Traduction Silvia Berutti-Ronelt et Jean-Claude Berutti / mise en scène Anne Monfort
Publié le 27 janvier 2022 - N° 296Anne Monfort met en scène pour la première fois en France cette dystopie mêlant avènement de l’horreur et persistance du désir.
Dans Tristesse animal noir (2007), mis en scène par Julien Gosselin, Stanislas Nordey ou Guy Delamotte du Panta Théâtre, un incendie dans une forêt décimait un groupe d’amis venus y pique-niquer. Écrit un an plus tard, moins connu et jamais encore monté en France, Nostalgie 2175 reprend le motif de la catastrophe et de la brûlure, puis d’une survie éprouvante, cette fois à l’échelle de la planète : le soleil a disparu, la température avoisine les 60 degrés Celsius. Ne demeurent que la chaleur extrême, le silence, la souffrance, mais aussi aussi une forme d’imagination et de désir propres à l’espèce humaine, dont celui de donner la vie malgré cet environnement mortifère. Si les cœurs continuent mécaniquement de battre, les organes sont très abîmés, la procréation n’est possible qu’avec une semence artificielle, et quasi toutes les femmes meurent suite à l’accouchement. La pièce met en scène un trio amoureux : Pagona qui de manière exceptionnelle est tombée enceinte par le sexe ; Taschko, qu’elle aime et qui l’aime et qui ne peut toucher ou être touché tant son corps est meurtri ; Posch, le père biologique de l’enfant. Taschko est peintre « dermaplaste » sur peau morte, principalement d’images de films du XXe siècle. Il travaille pour l’entreprise de Posch, spécialisée en revêtements muraux. Comment donner corps au désastre, à la vie qui se souvient de ce qui est perdu et se charge d’indicibles douleurs ? Quel type d’incarnation ces corps souffrants et ce texte noir et pourtant poétique appellent-ils ?
Un théâtre d’écorchés vifs
Conçue par Clémence Kazémi, la scénographie plutôt élégante avec sa cabane colorée, ses arbres suspendus comme des reliques et son étang artificiel d’un bleu brillant jonché de feuilles s’oppose au sordide, accordant davantage de place à la trace qu’à la disparition, comme pour prolonger par sa construction même l’acte de peindre et créer, dans une ambiguïté et un jeu entre le vrai et le faux. Omniprésente, la composition musicale de Núria Giménez Comas élabore une dramaturgie sonore en lien avec les paroles et l’univers visuel de la pièce. Le texte alterne brefs dialogues et un récit au scalpel que Pagona adresse à sa fille qui va naître. C’est donc le personnage féminin qui prend principalement la parole. Judith Henry l’interprète dans une présence toujours juste et subtile, accompagnée par Mohand Azzoug (Taschko) et Jean-Baptiste Verquin (Posch). Cependant, dans cet écrin peut-être un peu trop élégant, portée par ces corps qui sont quasi ceux de tous les jours, ceux d’aujourd’hui, la question de la représentation semble s’enfermer de manière un peu trop figée et artificielle dans un théâtre de l’énonciation, qui ne rend pas suffisamment compte des tensions et ambivalences oscillant entre noirceur absolue et émergence de désirs eux-mêmes très contrastés, empreints de douceur ou de violence. Apocalyptique, la dystopie ponctuée de quelques références cinématographiques s’énonce dans une morne grammaire plus qu’elle se vit, sans que les relations expriment toute leur amplitude sensuelle et émotionnelle.
Agnès Santi
A propos de l'événement
Nostalgie 2175du jeudi 3 février 2022 au jeudi 3 février 2022
L'Arc - Scène nationale du Creusot
Esplanade François Mitterrand, 71200 Le Creusot
Tél : 03 85 55 13 11.
Espace des Arts - Scène nationale de Chalon-sur-Saône, 71100 Chalon-sur-Saône. Les 15 et 16 mars 2022. Tél : 03 85 42 52 12. Spectacle vu au Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté. Théâtre National de Strasbourg. Saison 2022/2023. Durée : 1h30.