La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Angelica Liddell

Angelica Liddell - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Francesca Paraguai Légende photo : Angelica Liddell

Publié le 10 janvier 2012 - N° 194

Richard nous révèle la pourriture humaine

Dans L’année de Richard, l’actrice et dramaturge espagnole Angelica Liddell endosse l’ignominie du Richard III de Shakespeare et pousse le monstre à bout pour frapper en pleine conscience.

« Pour s’enfoncer dans la conscience, on ne peut pas penser avec pudeur, ni s’astreindre aux normes. »
 
Vous côtoyez les monstres sur la scène depuis plusieurs années, depuis Frankenstein en 1998… Pourquoi ces fréquentations ?
Angelica Liddell : Peut-être parce que j’ai une inclination naturelle à repérer la partie monstrueuse des choses, parce que je pense que c’est ça la véritable définition du monde. Parfois je m’identifie aux monstres parce qu’ils ne sont pas aimés… John Ford racontait des histoires de Far West et moi des histoires de monstres. Je dois être l’un d’eux. Certainement.
 
De quel rapport au pouvoir et de quelles faillites de la société Richard III est-il le révélateur ?
A. L. : Richard III montre la façon dont les mécanismes démocratiques peuvent être utilisés pour susciter en nous des souffrances. A un moment, la souffrance devient légale, elle est légiférée, pour ainsi dire licite. Il nous parle de l’abus de pouvoir qui peut exister dans la démocratie et des conditions qui les favorisent. Nous savons déjà que Richard III est un pervers, mais, en même temps, il est chargé de nous révéler la noirceur de l’homme moyen, cela veut dire, de nous tous. L’important est que Richard nous parle de la condition humaine, nous révèle la pourriture humaine, à laquelle nous participons et dont nous sommes tous complices.
 
Dans sa pièce, Shakespeare explore la relation entre le corps, la maladie et le pouvoir. Comment le reliez-vous à votre expérience ?
A. L. : A Lugano, j’ai rencontré un psychiatre qui est venu voir la pièce, à la fin, il m’a demandé le livre, et m’a dit : « ceci est un cas clinique, je vais l’utiliser avec mes patients ». Les actions ne sont pas détachées de nos sentiments. Aussi ont-elles quelque chose à voir avec le pouvoir. La rancune est compensée par le biais de la brutalité, les complexes par les abus : c’est une règle de conduite, qui associée au pouvoir, peut devenir une catastrophe. Je veux que Richard III soit un homme et non un cliché.
 
Comment avez-vous travaillé à partir du « matériau » Shakespeare et, à partir de ce matériau retravaillé, quel est le processus de création scénique ?
A. L. : Shakespeare nous nourrit d’une force poétique, d’une suprématie esthétique. C’est grâce à cela que nous pouvons comprendre ou plutôt aborder l’horreur qu’incarne Richard. La sidération devant la terreur amène à la poésie : c’est cela qui rend les choses possibles. Ce que l’on peut trouver chez Shakespeare est cet engagement, indépendamment de l’argumentaire, cet engagement qui va avec la mise à nu de l’âme humaine, et, dans ce cas, la figure du malheur.
 
En scène, vous poussez l’engagement physique à la limite. Faut-il dépasser la pudeur, la douleur, pour toucher la vérité du corps ?
A. L. : Ce n’est pas un dogme. C’est ma manière de faire les choses. Je conçois mon corps comme un territoire de résistance, de conflit, je lui permets qu’il soit traversé par la violence. J’ai tenté de le mettre au même niveau que ma résistance intellectuelle. Pour creuser la matière humaine, pour s’enfoncer dans la conscience, on ne peut pas penser avec pudeur, ni s’astreindre aux normes, nous sommes faits de boue, et la première boue qu’il faut reconnaître est la sienne.
 
L’Année de Richard fait partie de la trilogie des Actes de résistance contre la mort. L’indignation et la résistance sont-elles un moteur de création pour vous ?
A. L. : Oui je travaille toujours, par opposition et dans le sens contraire. Je ne peux travailler dans un chemin balisé, je ne peux pas, je ne réussis pas. Il le faut toujours aller contre, c’est ce qui me fait avancer. Je travaille à partir de ce que je déteste.
 
Entretien réalisé par Gwénola David


L’année de Richard, texte et mise en scène d’Angelica Liddell. Du 12 au 29 janvier 2012, du jeudi au samedi à 20h30, dimanche, 15h30. Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris. Rens. : 01 44 95 98 21 et www.theatredurondpoint.fr. Texte publié aux éditions Les Solitaires intempestifs. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2012.

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