La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Amour

Amour - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Eric Legrand Légende photo : Magali Comeau Denis, vampire incandescent.

Publié le 10 avril 2008

Vincent Goethals met en scène la remarquable adaptation scénique que signe José Pliya du roman sulfureux de Marie Vieux-Chauvet, interprétée par la magnifique Magali Comeau Denis.

La loterie mystérieuse des sangs mêlés a fait l’aînée des sœurs Clamont noire au milieu des blanches. Entre Annette, l’oie écervelée et Félicia, la dinde abrutie, Claire l’obscure, la ténébreuse, est comme un oiseau de proie sévère et implacable, crispant ses serres autour de ceux sur lesquels elle règne dans ce gynécée caquetant dont elle est à la fois la reine et l’esclave. A trente-neuf ans, Claire, somptueusement belle encore, porte le chaste ruban bleu des enfants de Marie comme un stigmate outrageux et son hymen intact comme un fardeau insupportable. La haine, le ressentiment, l’amertume, le dégoût la transforment en bourreau d’elle-même et des autres et elle fomente des plans retors pour détruire ce dont le sort l’a privée, dans un incessant et pervers va-et-vient entre jouissance et frustration, donnant pour mieux reprendre, faisant mine d’aimer pour mieux haïr. Jean Luze, l’intelligent et bel aventurier, père d’un « têtard » infligé à Félicia, cristallise toute la passion accumulée sous des années passées à tenir la maison, les comptes et le balai. Dans une société haïtienne qui se délite, où l’aristocratie délétère virevolte dans des bals avinés, où la colère et les armes grondent, Claire devient l’instrument meurtrier de la vengeance de toutes les injures, celles faites à sa beauté bientôt lavées dans le sang des tyrans.
 
Le venin terrifiant de la frustration
 
Amour est le premier volet de l’adaptation théâtrale de Amour, colère et folie, roman de Marie Vieux-Chauvet publié en 1968 et dont la charge subversive provoqua la fureur du dictateur François Duvalier et l’exil de son auteur. Livre fantôme seulement réédité en 2003, ce texte fondateur de la littérature haïtienne est un brûlot politique et érotique hors du commun. La folie de Claire s’y offre sans détours et la charge pulsionnelle de son onanisme pornographique s’y déploie dans une langue crue, drue et incandescente. José Pliya signe une excellente adaptation scénique de cet ouvrage foisonnant, réduisant sa choralité au seul personnage de Claire qui embrasse dans son discours toute la richesse luxuriante de l’univers inventé par la romancière. Vincent Goethals confie à Magali Comeau Denis le rôle de cette vierge démoniaque. La comédienne, magistrale, fascinante, étincelante de force et de beauté, terrifiante et drôle, émouvante et tragique, porte le texte avec un talent éblouissant. La lubricité et l’impudeur de son personnage sont soutenues par les suggestions chorégraphiques de Cyril Viallon sur fond de vidéo appuyant la sensualité des scènes intimes et offrant une profondeur historique aux scènes politiques grâce à des images d’archives évoquant Haïti. L’ensemble compose un spectacle prenant et captivant, où Magali Comeau Denis, en grande prêtresse d’un sabbat torride, est éblouissante de justesse et de fougue.
 
Catherine Robert


Amour, de Marie Vieux-Chauvet ; adaptation de José Pliya ; mise en scène de Vincent Goethals. Du 1er au 19 avril 2008. Du mardi au vendredi à 20h ; le samedi à 16h et 20h. Le TARMAC de La Villette, Parc de la Villette, 211, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris. Réservations au 01 40 03 93 95. Spectacle vu au Grand R, scène nationale de La Roche-sur-Yon.

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre