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Théâtre - Critique

Alice Laloy et les siens créent « Le Ring de Katharsy » : un affrontement dystopique orchestré avec science et poésie

Alice Laloy et les siens créent « Le Ring de Katharsy » : un affrontement dystopique orchestré avec science et poésie - Critique sortie Théâtre Villeurbanne
Le Ring de Katharsy d’Alice Laloy © Simon Gosselin

T2G Théâtre de Gennevilliers – Festival d’Automne Paris / Conception et mise en scène d’Alice Laloy

Publié le 25 octobre 2024 - N° 326

Après Pinocchio (live), cette nouvelle création d’Alice Laloy fabrique un langage artistique hybride remarquablement abouti, orchestrant une succession de matchs lors d’un jeu vidéo qui se fait miroir féroce d’une société sous le joug d’une consommation et d’une compétition insatiables. Magistral !

Un geste artistique cohérent et maîtrisé, où la forme remarquablement agencée saisit par sa beauté sculptée au sein d’un espace gris mortifère autant que par sa puissance d’évocation, laissant prise à toutes sortes de réflexions. Troublant la frontière entre le vivant et l’inanimé, entre l’humain et le pantin, le langage hybride et plastique d’Alice Laloy où s’entrelacent acteurs, marionnettes, machinerie, matériaux et compositions sonores met en jeu de renversantes manipulations et de troublantes métamorphoses. Ici ce n’est pas la marionnette qui tend vers l’humain, c’est l’humain qui se fait marionnette, jusqu’à ce que surgisse une forme de déraillement… Après une chaîne d’assemblage dans Pinocchio (live), création au grand succès et en plusieurs versions où l’enfant se transforme en objet, Le Ring de Katharsy, nouvelle dystopie, prend place dans un dispositif intriguant, celui d’un jeu vidéo et de ses parties successives – une brillante idée riche d’implications. Non seulement le contenu du jeu se fait miroir glaçant et féroce d’une société rétrécie par un individualisme forcené, par les impératifs que génèrent la consommation, la compétition et un insatiable désir de possession, mais le fonctionnement même du jeu transforme les joueurs en pantins obnubilés par leur score. On ne peut s’empêcher de penser à ces jeux aux objectifs sans cesse renouvelés qui accaparent le temps de cerveau disponible des enfants et demandent même de l’argent afin d’être plus performants. En fond de scène deux écrans, un pour chaque équipe. Entre les deux, une étrange et immense figure tutélaire, chanteuse et cheffe qui félicite les gagnants. C’est la bien-nommée Katharsy, qui orchestre ces parties dont les adeptes vivent les émotions par procuration…

Une forme hybride qui interroge profondément

Nous assistons à la mise en place du jeu, avec traçage au sol du ring et installation des équipes. Nous sommes les spectateurs et spectatrices d’une tragédie sans dieux, sans lignage ni crime originel, témoins d’un au-delà tragique où un quotidien monochrome et tout entier captif instaure une manière de vivre désespérante. Sur des brouettes sont amenés les avatars évoquant des zombies, trois par équipes, automates inexpressifs au regard vide qui obéissent sans faillir, quoique… Alice Laloy et les siens  instillent une forme de désobéissance aux instructions, d’abord ténue puis massive. Seule touche de couleur dans cet univers gris inspiré à l’artiste par les œuvres du plasticien belge Hans Op de Beck, celles des vêtements des deux joueurs tendus et concentrés qui s’affrontent et se tiennent de chaque côté du ring, énonçant leurs ordres sous forme de verbes. Une porosité de plus en plus visible entre avatars et joueurs laisse sourdre une contamination où la rage prend le dessus. Il faut souligner l’excellence des interprètes, d’une précision et d’une synchronisation millimétrées, laissant émerger çà et là quelques fugaces éclats de drôlerie : Coralie Arnoult, Lucille Chalopin, Alberto DÍaz, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Antoine Maitrias, Léonard Martin, Nilda Martinez, Antoine Mermet, Maxime Steffan, Marion Tassou impressionnent. Pour chaque match des objets sont requis et chutent depuis un grill : meubles, nourriture, poupons…, la parentalité n’offrant aucun répit à la déshumanisation. Intitulés Black Friday, Que le meilleur gagne, Click & Collect, Enjoy your Meal, Green is Beautiful, Stop Crying…, les matchs exacerbent les manipulations en empêchant tout écart, ou presque. Quelle pourrait être l’issue d’une révolte des avatars ? Magistralement aboutie, la représentation constitue une alerte et appelle un désir de liberté. Alice Laloy et les siens composent avec ce renversant tournoi une œuvre artistique de très haut vol…

Agnès Santi

A propos de l'événement

Le Ring de Katharsy
du jeudi 5 décembre 2024 au lundi 16 décembre 2024


à 20h, dimanche à 16h, samedi à 18h. Rens 0141322610.

Spectacle vu à la création au TNP à Villeurbanne

Tournée

Bateau Feu - Scène Nationale de Dunkerque, le 14 novembre 2024

Théâtre National de Strasbourg, du 20 au 29 novembre 2024

La Rose des Vents – Scène Nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, du 9 au 10 janvier 2025

Théâtre Olympia - CDN Tours & l’Hectare-Territoires vendômois, Centre National de la Marionnette, du 26 février au 1er mars 2025

Malakoff Scène Nationale, du 13 au 14 mars 2025

Théâtre Orléans – Scène Nationale, du 20 au 21 mars 2025

Théâtre de l’Union – CDN Limoges, du 3 au 4 avril 2025

La Comédie de Clermont-Ferrand – Scène Nationale, du 9 au 10 avril 2025

 

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