La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Alain Françon monte « Les Innocents, Moi et l’Inconnue au bord de la route départementale » de Peter Handke

Alain Françon monte « Les Innocents, Moi et l’Inconnue au bord de la route départementale » de Peter Handke - Critique sortie Théâtre Paris La Colline - Théâtre national
Le metteur en scène Alain Françon Crédit : Michel Corbou

de Peter Handke / mes Alain Françon

Publié le 21 février 2020 - N° 285

Promesse d’un chemin libre, territoire à défendre ou destin prisonnier du passé : la route départementale où cheminent Peter Handke et Alain Françon révèle son mystère au fur et à mesure des saisons.

Est-il possible de raconter cette pièce ?

Alain Françon : Comme dans tous les romans et les pièces de Peter Handke, celle-ci commence par un lieu. C’est d’abord le lieu qui déclenche l’écriture chez ce dramaturge. Soit, ici, la route départementale, non-lieu plutôt que lieu, espace intermédiaire devenu mythique par une série d’appropriations pendant l’enfance. C’est là que l’enfant a couru à l’annonce de la mort de sa grand-mère ; c’est là qu’il marchait en donnant la main à son grand-père, dans un pays où les hommes ne se livrent pas à cette familiarité. C’est un lieu propice aux « épiphanies profanes » dont parle Walter Benjamin. Le « Moi », venu sur la route saluer le printemps, se retrouve face à des « Innocents », et c’est cette confrontation qui intéresse Peter. Ces Innocents ne sont pas des ennemis mais des gens inconscients qui ne se sentent pas coupables, une multitude qui progresse au fur et à mesure du temps de la pièce et voudrait s’emparer innocemment de la route pour la rentabiliser. Cette confrontation dure jusqu’à l’arrivée de l’hiver (le drame se déroule en quatre saisons) où une nouvelle apparition de l’Inconnue dans une certaine affliction confirme une promesse de paix. La route disparaît alors et le temps réel réapparaît. La pièce s’est déroulée comme un rêve de jour.

« Tout part de la textualité, de sa matérialité, de la sonorité, qui est essentielle. Pour lui, la notion de rythme est aussi essentielle. »

Comment affronter ce qui peut sembler, de prime abord, assez complexe à comprendre ?

A.F : Peter Handke écrit sans plan. Il trouve cela inesthétique et immoral. Après le printemps et l’été, il s’est même trouvé en panne, pensant ne plus continuer la pièce, et puis une image de papiers qui traînaient dans son allée de jardin chez lui, lui a dit comment continuer l’évolution des Innocents. Il n’y a pas de dialogues dans cette pièce : comme toujours chez Peter Handke, ceux qui parlent sont parfois un peu bavards et se lancent directement dans le récit à travers des tirades qui ne sont pas les simples répliques ordinaires d’une pièce. Ce texte est un poème dramatique qui se situe au seuil de l’éveil et du rêve, dans un temps et un espace très particuliers, où la part du texte est parfois plus courte que les longues didascalies, sortes de poèmes qui l’accompagnent. Au travail, la complexité du poème dramatique demeure mais elle devient plus concrète, chacun de nous peut voir en effet son propre chemin sur la départementale, et comment au lieu de le défendre et de le protéger, il peut l’ouvrir à l’autre. Bien sûr c’est le regard du spectateur qui est sollicité, son imagination, sa capacité à partir vers l’extérieur pour revenir à son propre intérieur et retourner à l’extérieur. Une nouvelle fois rappelons-nous qu’il s’agit d’un rêve éveillé.

 Comment avez-vous travaillé pour porter ce texte à la scène ?

AF. : Je crois qu’il faut le saisir dans l’immédiateté du poème. Son auteur appartient à la minorité slovène de la Carinthie, province d’Autriche. Il a passé son enfance à la campagne et puis est devenu un grand voyageur. C’est un homme d’une culture immense, d’une profonde intelligence mais qui se veut l’inverse d’un intellectuel. Il n’évoque jamais rien du passé qui n’ait été expérimenté et vécu. Et le passé le propulse vers le maintenant, vers l’aujourd’hui. Comme dans tous les poèmes de Peter Handke, on ne découvre pas de personnages mais plutôt des figures. Tout part de la textualité, de sa matérialité, de la sonorité, qui est essentielle. Pour lui, la notion de rythme est aussi essentielle. Il y est plus attaché qu’au sens ou au signifié. Voilà pourquoi je lui ai demandé de traduire lui-même la pièce de l’allemand en français. Il reste peut-être quelques germanismes dans cette traduction mais elle suit son rythme à lui. Mettre en scène cette pièce suppose d’en trouver justement tous les rythmes. Je fais une différence entre produire et interpréter un texte. Ici, ça ne sert à rien d’interpréter : il faut produire.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Les Innocents, Moi et l’Inconnue au bord de la route départementale
du mardi 3 mars 2020 au dimanche 29 mars 2020
La Colline - Théâtre national
15, rue Malte-Brun, 75020 Paris.

Du mercredi au samedi à 20h30 ; le mardi à 19h30 ; le dimanche à 15h30 ; relâche le 8 mars. Tél. : 01 44 62 52 52. Tournée : du 2 au 4 avril à la MC2 (Grenoble).

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