La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon - Critique

Alain Batis et Léonore Confino reprennent « L’Enfant de Verre », partition saisissante autour des violences intra-familiales.

Alain Batis et Léonore Confino reprennent « L’Enfant de Verre », partition saisissante autour des violences intra-familiales. - Critique sortie Avignon / 2025 Avignon Avignon Off. Présence Pasteur
© Patrick Kuhn L'Enfant de Verre

Reprise / Présence Pasteur / texte Léonore Confino et Géraldine Martineau / mise en scène Alain Batis

Publié le 20 juin 2025 - N° 334

Avec la complicité de Géraldine Martineau, Alain Batis et Léonore Confino reprennent cette partition théâtrale d’une beauté saisissante et aiguë autour de violences et silences infinis au sein d’une famille. À voir !  

Qu’il se saisisse de pièces de Maeterlinck ou de contes de divers horizons, on connait l’élégante délicatesse qui caractérise le travail du metteur en scène Alain Batis, sa manière singulière d’entrelacer le réel et l’onirisme dans une épure intemporelle. Née d’un compagnonnage avec l’autrice Léonore Confino, cette dernière création est une brillante et bouleversante réussite. Rejoints par la metteure en scène, autrice et comédienne Géraldine Martineau qui a collaboré à l’écriture, tous deux se sont emparés d’un sujet difficile, celui de violences inavouables au sein des familles, celui de silences destructeurs qui prétendent à l’effacement et enfouissent la douleur sous une apparence d’harmonie et de stabilité. Le conte ciselé et limpide de Léonore Confino, habité par une part de mystère, acquiert dans sa rencontre avec la scène une saisissante beauté, une densité émotionnelle, une amplitude poétique. La dimension métaphorique de la fable, qui aurait pu paraître naïve, se fait ici d’une acuité tranchante. Ainsi se révèlent au détour de ténus décalages et de situations nouvelles de puissants dysfonctionnements, qui accueillent le déni au sein de la famille Kilvik, où paraît-il on « s’aime trop ». Le père Frédérik et son problème d’alcool, la mère Esther et ses nuages de dépression, la grand-mère maternelle Anja, qui a besoin de tenir la main de quelqu’un, et deux sœurs très unies : la fille aînée Hella, qualifiée de « monstre d’altruisme » par sa mère, la cadette Liv, qui aime danser, qui hérite d’une mésange en verre léguée de mère en fille, initialement laissée à Anja par sa mère avant qu’elle ne disparaisse. Le charmant Nino, qui parvient à faire rire Esther, épouse Hella. S’immisce aussi dans l’histoire l’énigmatique Pio, un souffleur de verre qui aide à faire advenir la vérité.

Redonner sens à l’amour contre le déni

Objet le plus précieux de la famille, censé colmater le gouffre de l’abandon d’une mère, la mésange prend une place démesurée qui enserre les êtres et entretient la peur. Nichée en bord de mer sur une falaise, la maison semblable à un royaume de verre se fait cage où la vérité est dite mais n’est pas entendue. Les comédiens Sylvia Amato, Delphine Cogniard, Laurent Desponds, Anthony Davy, Julie Piednoir, Yasmine Haller, Mathieu Saccucci et Blanche Sottou forment un ensemble qui impressionne, tissant entre eux des relations intenses et subtiles grâce aux mots et aux corps. Ici la famille est un personnage en soi, une cellule complexe aux ramifications insoupçonnées. La scénographie de Sandrine Lamblin, la musique de Cyriaque Bellot, les lumières de Nicolas Gros conjuguent leurs effets de manière très précise. Si la pièce s’inscrit dans une atmosphère nordique aux confins du fantastique qui peut rappeler Ibsen, elle interpelle fermement les injustices du réel, s’élève contre les impostures, afin de laisser place à un amour qui agit, qui fait face. C’est très beau. Souvenons-nous du rapport de la CIIVISE, paru le 17 novembre 2023 : « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit. » Une pièce remarquable.

Agnès Santi

A propos de l'événement

L'Enfant de Verre
du samedi 5 juillet 2025 au samedi 26 juillet 2025
Avignon Off. Présence Pasteur
13 rue du Pont Trouca, 84000 Avignon

à 14h20, relâche les 8, 15 et 22 juillet.

Durée : 1h25.

Spectacle vu à La Scène Watteau à Nogent-sur-Marne.

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