La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

A tort et à raison

A tort et à raison - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre Hébertot
Légende photo : Francis Lombrail et Michel Bouquet dans A tort et à raison. Crédit photo : Laurencine Lot

CRITIQUE
Théâtre Hébertot / de Ronald Harwood / mes Georges Werler

Publié le 21 décembre 2015 - N° 239

Michel Bouquet retrouve les planches parisiennes pour la reprise de A tort et à raison. Il interprète Wilhelm Furtwängler, hiératique dans la tourmente de la dénazification et le conflit entre art et politique.

Lors du procès qui le convoqua devant les instances d’épuration des musiciens qui avaient collaboré avec le régime nazi, on reprocha au musicien Wilhelm Furtwängler d’être resté en Allemagne, d’y avoir dirigé des concerts en présence d’Hitler et d’avoir fait preuve d’antisémitisme contre le chef d’orchestre Victor de Sabata. S’il resta, c’est auprès des partitions de Beethoven et de Brahms et de l’orchestre philarmonique de Berlin plutôt qu’aux côtés des thuriféraires de la mort. Mais on ne pardonna jamais complètement à l’immense chef d’orchestre d’avoir préféré à l’exil « l’émigration intérieure », que lui reprochait pourtant Goebbels. Ronald Harwood s’est inspiré de la vie de Furtwängler pour cette pièce qui interroge la délicate question des limites de la compromission et les rapports entre le prince et l’artiste. En 1946, à Berlin, le commandant américain Steve Arnold harcèle et humilie le musicien pour mettre sa culpabilité au grand jour.

Le gerfaut face au buffle

Francis Lombrail interprète Steve Arnold en lui prêtant la fougue, l’énergie et la brutalité colérique d’un homme simple et inculte. Il n’a que faire des subtilités artistiques et de la complexité psychologique de sa proie, à laquelle il veut faire payer l’aveuglement des Allemands face au nazisme. Face à lui, Michel Bouquet est un Furtwängler sans doute très proche de son modèle, dont on rapporte qu’il préférait la musique à ses semblables, et entretenait depuis l’enfance un rapport distancé et quasi autiste au monde. La pièce renouvelle le face-à-face entre résistance et collaboration, puisque les deux personnages qui l’incarnent sont également odieux. L’Américain est un matérialiste obtus et grossier ; l’Allemand, pincé et méprisant, sûr de son génie et de la supériorité des choses de l’esprit, est incapable de s’abaisser devant la médiocrité, celle des nazis ou celle de son censeur. La morgue de Furtwängler est aussi détestable que la vulgarité d’Arnold, et aucun n’est capable de comprendre les motivations de l’autre. L’indécision règne jusqu’à la question finale, toujours à poser : qu’aurions-nous fait si nous avions été à la place de ceux que nous jugeons ? Jeu mesuré et matois, interprétation suggérant l’intériorité bouleversée d’un homme trop subtil et trop fragile pour être entendu : Michel Bouquet excelle à faire planer le doute sur cette question sans réponse.

Catherine Robert

A propos de l'événement

A tort et à raison
du mercredi 23 décembre 2015 au dimanche 28 février 2016
Théâtre Hébertot
78 Boulevard des Batignolles, 75017 Paris, France

Du mercredi au samedi à 21h ; dimanche à 17h ; représentation exceptionnelle le mardi 29 décembre. Tél. : 01 43 87 23 23.

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