La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon - Critique

À la catastrophe annoncée, opposons la beauté avec « La Faille » de Paul Pascot

À la catastrophe annoncée, opposons la beauté avec « La Faille » de Paul Pascot - Critique sortie Avignon / 2025 Avignon Avignon Off. Théâtre des Halles
Paul Pascot – Les comédiens de « La Faille »

Théâtre des Halles / texte de Serge Kribus / mise en scène de Paul Pascot

Publié le 8 juillet 2025 - N° 334

Dernière création de la Cie Bon-qu’à-ça de Paul Pascot, La Faille se propose de conjurer l’éco-anxiété par la puissante déferlante des mots de Serge Kribus, portés par les stupéfiants Mélissa Merlo et Léo Nivot. Un road-trip post-apo musical vertigineux.

Premières notes de piano, premiers mots de Mélissa Merlo, on plonge tête et cœur la première dans le récit. Sa diction est limpide, chaque mot chargé d’une émotion différente, toute la fougue de son personnage projetée en une bourrasque langagière. C’est un slam de poésie, un conte, une confession, tout à la fois ; les images fusent dans notre esprit sans effort. Elle est Solee, une adolescente née dans un futur dystopique où la Terre pourrit, littéralement. Tout commence au Canada, où la ville de Matagami est engloutie dans le sol. Puis d’autres disparaissent par dizaines, par centaines, les failles exhalent un gaz toxique, qui cause des pluies acides (« ucides » dit Solee). Comme on peut s’y attendre, des guerres éclatent et les survivants se réfugient en dessous d’immenses dômes dont l’entretien siphonne tout l’argent public. Solee, elle, est atteinte d’« animalie », un syndrome qui la rend réfractaire à la vie enfermée, à l’apathie générale. Mais surtout, elle sent, elle a des envies, elle est la pulsion de vie face à l’attente de la mort, l’espérance face à la raison invoquée par les adultes. C’est ainsi qu’un beau jour, elle décide de quitter sa mère et de braver les interdictions pour aller voir le dehors. Tout au long du périple, elles resteront dans une sorte de communication télépathique, la comédienne incarnant tour à tour la fille et la mère. Comme si elles ne pouvaient se confesser qu’en l’absence l’une de l’autre.

« Vos vies sont faites pour danser, pas pour comprendre ! »

Ce monde a besoin de Solee, de son insolence, de sa franchise désarçonnante. Les mots si singuliers (voire inventés !) de Serge Kribus sont autant de cartouches tirées par l’adolescente en direction d’un système absurde et nihiliste, qui conserve le capitalisme comme des œillères. Armée d’une fausse candeur, elle pointe sans concessions toutes les lâchetés et les cupidités qui ont mené au point de non-retour. Seuls alliés sur sa route : le poète du métro qui a abandonné tout espoir mais gardé l’amour et Olu, un adolescent comme elle, animal (joués par Léo Nivot). Tous deux ont la guitare greffée aux doigts. Que reste-t-il si ce n’est la musique et la danse pour s’opposer au désastre ? Les duos ainsi formés nous frappent de beauté et si l’émotion nous serre un peu la poitrine, elle a le goût de l’espoir. Tout sonne vrai dans cette pièce, résonne avec les angoisses mais aussi les convictions profondes de chacun. Ainsi l’espace dépouillé de la scène voit le verbe et les notes voler haut, avec plus de force qu’ils n’en ont jamais eu dans aucun discours politique. À partir de là, danserons-nous comme Solee ? Assurément. Laisserons-nous la faille nous engloutir ? Rien n’est moins sûr…

Enzo Janin-Lopez

A propos de l'événement

La Faille
du samedi 5 juillet 2025 au samedi 26 juillet 2025
Avignon Off. Théâtre des Halles
22, Rue du Roi René, 84000 Avignon

à 18h30, relâche les mercredis 9, 16 et 23 juillet. Tél : 04 32 76 24 51. Durée : 1h30.

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