Pourama Pourama de Gurshad Shaheman
Il y a cinq ans, le comédien et metteur en [...]
Portée par l’impressionnante Olivia Corsini dans le rôle d’Anna, épouse infidèle et héroïne bergmanienne, cette libre adaptation du roman Entretiens privés de Ingmar Bergman est une très belle réussite. Un geste théâtral original, audacieux et entier.
Une femme et trois hommes. Anna, Jacob, Henrik et Tomas : l’épouse infidèle, le vieux pasteur et ami proche, qui lui conseille de tout dire à son mari et de quitter son amant, le mari et le jeune amant. Entretiens privés d’Ingmar Bergman dévoile les dialogues successifs que noue Anna, prisonnière d’un mariage malheureux, désireuse de s’abandonner au désir, à ses sentiments, de connaître enfin l’amour. Ne peut-elle laisser libre cours à son envie d’être heureuse ? Dire la vérité à Henrik et faire cesser l’illusion, n’est-ce pas l’anéantir et anéantir son foyer ? « On ne peut pas faire violence à la vérité sans que ça tourne mal ». En adaptant Entretiens privés d’Ingmar Bergman, c’est un impressionnant travail que réalisent Olivia Corsini et Serge Nicolaï, fondateurs de la compagnie The Wild Donkeys, comédiens du Théâtre du Soleil – protagonistes notamment des merveilleuses pièces Le Dernier Caravansérail, Les Ephémères et Les Naufragés du Fol Espoir. Leur travail aigu et sensible plonge dans les tourments de la psyché humaine, en rien éthérés, mais au contraire incroyablement concrets, physiques, tenaces et exigeants. Fidèles au grand réalisateur suédois, fidèles aussi à la réalité de la vie, ils mettent en forme un geste original, audacieux, entier, un geste qui allie intimement le corps et l’esprit, qui laisse émerger ce qui tenaille l’être au plus profond, entre élans de liberté et moments de crise, névroses, fragilités et sensation d’être au bord de la catastrophe, sans savoir quoi faire. Dans le prolongement du Bunraku, théâtre de marionnettes japonais, les personnages sont parfois mus par un manipulateur (Serge Nicolaï) qui les bousculent et les malmènent, lors d’une danse fluide et brusque signifiant leur profond désarroi, au-delà du masque social, des raisonnements inutiles et des réponses apprêtées du langage.
Un théâtre du cœur et du corps
Grâce à l’interprétation absolument éblouissante d’Olivia Corsini (Anna), tout en intensité et subtilité, à celle de Stephen Szekely (Henrik), très juste aussi, de Gérard Hardy (Jacob) et Andrea Romano (Tomas), la pièce ausculte de manière bouleversante la découverte pour Anna de sa propre solitude. Et d’une certaine inadaptation à la vie – ou plutôt à sa vie. En tant qu’épouse et mère de trois enfants, elle est assaillie par toutes sortes d’impératifs qui l’obligent à se conformer aux attentes. Avec peu de moyens mais une remarquable intelligence scénique, la pièce révèle la poignante fragilité de cette héroïne bergmanienne, le chaos triste d’une relation conjugale sans amour, les attributs immuables de la condition féminine. Sans jamais se laisser aller à aucune facilité, accentuation ou effets, à aucune caricature ou dépréciation de tel ou tel comportement, en cherchant au contraire à chaque instant une profonde sincérité, une profonde compréhension des êtres dans toute leur fragilité et leur ambivalence, la mise en scène parvient à exprimer la vertigineuse amplitude de cette situation souvent reconnue comme banale, mais qui, chez le maître suédois comme dans cette adaptation, ouvre des abîmes intérieurs. Avec fureur mais aussi avec une très grande délicatesse.
Agnès Santi
à 20h30. Durée de la représentation : 1h30. Tél. : 01 56 08 33 88. www.lemonfort.fr
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